"je ne sais si tu as remarqué la coquille magnifique dans la deuxième de couverture de Coudrier :
Ouvrage oublié au lieu de publié : de quoi faire couler de l'encre..."
page 6 :
Ouvrage oublié avec le concours du centre national du Livre
cP.O.L. éditeur, 2006
Pourtant je l'ai lu c'est un bel ouvrage de Jacques Dupin.
J'en frissonne, c'est bien la peine de n'en plus finir de finir des livres pour qu'ils soient oubliés, avec ou sans le concours du CNL, chez P.O.L....
mais Mallaury ajoute :
"et puis il y a les textes négligés, bannis, verrouillés, tus, interdits, censurés, tués dans l'oeuf...
Mais sans coquille !"
J'ai enfin fini de relire sur papier Les Adolescents troglodytes. J'ai traqué les répétitions, les incohérences, les fautes diverses. J'ai essayé de trouver le rythme de chaque phrase.
Maintenant, je dois rentrer mes corrections dans l'ordi (en essayant de ne pas re-relire).
Mais mon fils aîné, dont je squattais la chambre, est rentré d'Allemagne.
Je suis donc montée au grenier.
Tant pis s'il est pas encore isolé du froid, tant pis s'il est poussiéreux, le plancher brut.
Tant pis si de l'air rentre dans mon dos.
Il est isolé des autres.
Je ne peux pas écrire au milieu de tout le monde.
Je peux écrire sous le bruit de la pluie, du vent, et même dans le bruit des gens, oui, mais pas des miens. Ils me concernent trop. Et là, à J-moins trois, en mauvaise mère, en mauvaise épouse, en mauvaise prof (J moins deux pour le collège...), je ne suis disponible que pour mes personnages.
"Dressons la carte des montagnes. Le chalet écrasé par le temps des loses pesantes. Le chemin comme un escalier. Le vieux qui ne peut plus et qui de loin s'imagine comme accoudé à sa carte. Cette carte qui existe pour ceux qui vont. Pour ceux qui en reviennent. Pour ceux qui n'y sont pas. La carte que nous déplions sur le capot de l'automobile, sur la table, sur le rocher du chemin, nous met hors jeu. Nous la déplions car nous vivons en dehors de ce qu'elle nous montre. Muette et sans paysage. Toutefois si quelqu'un se penche sur elle avec précision. Humanité. Avec reconnaissance. Elle peut se faire paroles pour nous dire le nom d'un arbre, que cette femme habitait là et que la rivière qui passait là-bas est asséchée depuis peut-être trente ans. Alors elle devient un doigt majeur que l'on pointe chair dans la chair du conte qui devant nous se joue et qu'ainsi nous décrivons."
Joël Bastard
"C'est une vue du ciel"
"Sur la quatrième de couverture des Adolescents troglodytes, je voudrais faire des lignes, une sorte de stylisation de tracés de cartes IGN à 1/25000, routes, cours d'eau et lacs, avec deux couleurs (une pour les routes, l'autre pour l'eau). Les deux couleurs des livres POL (gris anthracite et bleu foncé, donc). Aucune indication de lieu, seulement quelques chiffres (les relevés d'altitude). Aucun mot"
Voilà ce que j'ai demandé à Thierry Fourreau, directeur artistique chez POL (et auteur d'un très beau texte, Perfecto).
Un petit aperçu ici.
Le dos du livre sera une carte, puisqu'à l'intérieur il y a ces itinéraires, toujours et jamais les mêmes, sur nos plateaux écartés.
Dans le livre ce territoire, avec les déviations d'hiver, la perte des repères lorsque les congères transforment les routes en nouveaux champs, et l'égarement dans les dernières pages.
En ce moment, il y a plein de d'amis vertacos à la maison : je leur ai fait lire cette "présentation", pour savoir ce qu'ils comprenaient. Ils semblerait qu'elle soit juste. Ceux qui ont déjà lu le manuscrit m'ont dit "oui, c'est ça" et les autres ont l'air d'avoir compris "de quoi il s'agissait" :
Adèle est conductrice de navette scolaire sur un plateau très isolé, en altitude. Elle transporte une dizaine d’enfants et d’adolescents, essentiellement des fratries, dont les histoires se mêlent à la sienne. Pendant les trajets, dans les intempéries, ses souvenirs, ses pensées, glissent sur les routes écartées, pendant que grands et petits parlent, se disputent, se taisent. Elle se souvient de son corps mal ajusté, de sa propre adolescence douloureuse. Adèle est une fille née dans un corps de garçon. Ni « ses » grands, ni « ses » petits, n’ont connaissance de son passé. Elle est née au milieu du plateau, à la « ferme du fond », aujourd’hui disparue sous une retenue d’eau. Elle y a vécu avec ses parents et son petit frère, Axel, puis elle est partie, avant de revenir au pays dans son nouveau corps : personne ne l’a reconnue.
Elle conduit sa vie et la navette entre ce lac artificiel, recouvrant l’enfance, et un autre lac, naturel et volcanique, auprès duquel elle aime s’arrêter. Elle pense à son frère. Il n’a jamais accepté la féminité de son aîné. Axel est travailleur sur cordes, il conforte les falaises qui soutiennent le plateau. Il refuse de la voir, de lui parler. Une paroi rocheuse s’écroule, Axel s’en sort avec une phalange brisée, mais quelque chose en lui s‘est fissuré. Adèle descend le voir et le dialogue reprend.
Un après-midi d’hiver, la tourmente et les congères brouillent la route de la navette au retour du collège. Adèle et ses grands se perdent. Ils se réfugient pour la nuit dans une grotte au bord du lac volcanique…
Et maintenant, dernière lecture du texte, dernières modifs : la "dead line" a été avancée au 1er septembre...
Je n’ ai pas écrit ce carnet de résidence, non, mais j’en suis le personnage, pour une fois… Je suis le personnage de Clopine, résidente permanente en pays de Bray.
Emmanuelle Pagano
Faire son miel de la boue brayonne…
Je crois bien que la solitude a toutes sortes de goûts différents : parfois aussi amère que de la ciguë ou aussi douce que le fruit d’un jardin fécond. Le plus souvent, c’est comme un entre-deux, un sensation douce-amère, de vagues et sourdes aspirations : un front brûlant contre une vitre froide, qui protège une maison chaude du brouillard humide d’un début d’hiver brayon…
Entendons-nous : j’ai la chance inouïe d’habiter une demeure entourée, et ma longère brayonne abrite des gens que j’aime, des bêtes silencieuses et paisibles, des activités de toutes sortes. Pourtant ma passion principale, la littérature, me renvoie souvent à la solitude. Non que ceux qui m’entourent soient insensibles aux livres, mais dans leur cas, la littérature ne les isole pas du monde, ne leur dessine pas comme un carcan enchanté. Dans le mien, oui. Mais c’est une solitude adoucie, réchauffée, acceptée enfin. Et puis, se dire solitaire, alors que votre chambre emplie de livres vous apporte, comme l’océan la vague, le murmure du monde entier, est-ce raisonnable ?
En tout cas, j’étais bel et bien seule, cette fin d’automne-là, quand j’ai entendu parler, grâce au journal local, de la présence d’Emmanuelle Pagano en « résidence d’écrivains », à la Folie du Bois des Fontaines de Forges-les-Eaux.
La Folie du Bois des Fontaines est une pâtisserie. Fine, certes, avec sa toiture contournée et un bel escalier, mais répondant cependant à l’ostentation bourgeoise des Parisiens fortunés qui , rajoutant fausses tourelles et multipliant les fenêtres inutiles, l’ont faite construire au 19è siècle. À quel motif ? Les mauvaises langues forgionnes évoquent encore, ici ou là, un « bordel de luxe » du genre de celui qui, si l’on en croit Proust, justifiait un arrêt de train sur la côte normande. En réalité, je crois bien qu’il s‘agissait d’un pavillon de chasse… mais une chasse à quoi ? En tout cas, elle est au cœur de ce qui fait la réputation, la richesse et peut-être la perte de Forges-les-Eaux, je veux dire ce complexe fait du flamboyant Casino, du Club Méditerranée, du golf, des allées arborées, des lacs à canards, des pelouses anglaises et des parkings de voitures. Le tout, à cinq kilomètres, à vol d’oiseau, de chez moi.
Et c’était là que, d’après le journal, s’était posée, comme un oiseau migrateur, une écrivaine, invitée à une retraite solitaire, destinée à féconder l’écriture de son quatrième roman. Ma curiosité, évidemment, ne pouvait qu’être éveillée.
Une photo d’Emmanuelle, assez imprécise, à cause de la mauvaise qualité du papier journal, illustrait l’article. On voyait juste une jeune femme mince, plus que simplement vêtue, assise en pleine nature, jambes croisées, sur une pierre plate. L’interview n ‘en livrait pas beaucoup plus. On y apprenait que la jeune femme appréciait sa retraite, qui la délivrait pour un temps des contraintes domestiques et familiales, qu’elle profitait pleinement de l’occasion et qu’elle faisait de longues promenades solitaires dans le Bois de l’Epinay.
Le Bois de l’Epinay ! C’est un petit bois municipal, mis à rude épreuve : des manifestations s’y déroulent chaque année (fête du cheval, démonstrations d’attelages de chiens, fêtes soi-disant champêtres) toujours plus nombreuses, provoquant piétinement excessif et saturation du bois. Des pans entiers disparaissent, pour laisser place à de gros pavillons bourgeois. Et la déviation tant attendue, qui allait délivrer le centre du bourg des énormes poids lourds, allait en dévorer un gros bout. Il restait cependant un étroit sentier écologique, deux tourbières classées, des allées forestières restées majestueuses, que je connaissais comme ma poche. Si je le voulais, il me serait si facile, feignant le hasard, d’y croiser Emmanuelle. Je pouvais emmener le chien, qui fournirait peut-être le prétexte d’une rencontre ? Mon imagination galopait…
J’essayais de mettre à profit ma connaissance des lieux pour reconstituer la journée d’Emmanuelle. Son réveil, dans la chambre luxueuse. Elle devait aller à la fenêtre, tout de suite, soulever d’une main le rideau blanc, contempler les arbres et les feuilles rousses tombées sur la pelouse détrempée. En pays de Bray, les mois de novembre, de décembre n’ont rien de terrible, rien d’insurmontable. Mais c’est un lent pourrissement, une imprégnation humide, de la glace fine, en plaques blanches, sur les flaques de boue. C’est le moment où l’on porte les lourds manteaux de l’année précédente, qui alourdissent la démarche la plus dansante. Où l’on hésite à laver les pulls, tant leur séchage prend de temps, et remplit les cuisines de la mélancolie de la laine qui dégoutte. Emmanuelle, après des heures passées devant son écran (et j’imaginais l’ordinateur portable crépiter, sur une table poussée sous la fenêtre, dans la chambre de la résidence, ce crépitement remplaçant les feux d’automne d’autrefois), devait avoir comme un léger frisson en prenant son manteau ou peut-être un vieil anorak, en enfilant ses bottes ou ses chaussures de marche. Il fallait que son appétit de nature, son besoin de marcher, soient bien grands, pour qu’elle tourne le dos aux lumières de la petite ville, qu’elle s’enfonce dans le Bois, qu’elle y tourne et y retourne.
Elle devait apprécier, en rentrant, le thé que des mains efficaces devaient lui servir, appeler ensuite au téléphone les siens, qui habitaient si loin, sur ce plateau ardéchois enneigé, puis accomplir ce travail qui écoeure toujours un peu, donne une sorte de nausée et une légère migraine : se relire, élaguer ce qui étouffe le texte, arracher les ronces et corriger les fautes d’orthographe !
Emmanuelle considérait, d’après l’article, cette retraite comme une « chance ». Ma chance, à moi, ç’avait été de lire un de ses livres : Le Tiroir à cheveux, qui n’avait pas quitté mes mains avant que la dernière page fût tournée. Je savais qu’elle avait une écriture précise, légère, maîtrisée à l’extrême, une sensibilité tenue en laisse, mise toute entière au service du texte. Que son écriture était lumineuse et cependant resserrée, minutieuse et éclatante à la fois. Qu’elle participait, sans aucun doute, à ce courant si brillamment illustré par une Annie. Et que cette « chance » évoquée dans l’article, elle allait s’en saisir pour écrire encore, et encore…
Je savais aussi que cette résidence d’écrivains était la conséquence d’un événement exceptionnel qui s’était déroulé pendant deux années consécutives, en septembre. Les habitants de Forges en avait reçu l’écho, et pourtant, la population, constituée de couches sociales cohabitant sans vraiment se rencontrer, ne faisait pas preuve, jusque là, d’un appétit littéraire débordant. Que ce soit pour le monde rural, lent, des paysans se connaissant tous, vivant aux champs, suivant attentivement le cours de la viande de bœuf et les fluctuations de la Politique Agricole Commune, ou pour l’autre population, autour du Casino, la clientèle aisée, tout entière tournée vers la convoitise de l’argent, les « Feuilles d’Automne », festival littéraire, avaient détonné. Les grandes tentes blanches dressées sur la pelouse verte , les conférences d’écrivains qui s’y étaient tenues, les conseils des éditeurs parisiens présents, les débats, les jeunes femmes gracieuses en « simples » petites robes noires , tout cela avait eu évidemment un retentissement , avait secoué la lymphatique torpeur du bourg. Je m’y étais rendue, poussée par l’envie de rencontrer ceux qui avaient écrit certains des mots dont je me repaissais. Je n’avais évidemment osé adresser la parole à quiconque, avais furtivement acheté trois livres, étais rentrée précipitamment chez moi.
Cette timidité excessive était aussi la marque de mon pays, où Emmanuelle était venue écrire. Finalement, elle avait sans doute raison de se promener, solitaire, près des tourbières du Bois de l’Epinay, et si la chimère d’une rencontre entre nos deux solitudes, nos deux passions parallèles, tout ce que je pouvais deviner de correspondances entre elle et moi, ne s’était pas concrétisée, c’était tant mieux. Le but final de sa résidence, pour laquelle les organisateurs de « Feuilles d’Automne » avaient très certainement dû déployer des efforts remarquables de persuasion, d’enthousiasme et d’énergie, était l’écriture d’Emmanuelle. Cela seul comptait.
Il me restait à espérer qu’elle fasse un peu son miel de mon pauvre et peut-être rebutant pays, aux habitants si timides et maladroits. Mais je savais que je pouvais lui faire confiance : elle irait à l’essentiel, se souviendrait des Bois, même blessés, de cette terre-éponge, de ce « Pays de Bray » - la « bray » étant la « boue » gauloise, dont nous ne sommes pas avares par ici - et qu’elle mettrait à profit cette retraite pour son travail d’écrivain.
Emmanuelle et moi nous sommes finalement rencontrées, virtuellement* certes, comme il arrive désormais grâce à Internet et j’ai su qu’elle s’était souvenue les tourbières du Bois de l’Epinay : la preuve ? Ces quelques lignes de sa main, extraites de son futur roman et directement inspirées de son séjour ici :
« …Il y avait plusieurs promeneurs, des randonneurs, des pêcheurs à la rivière retrouvée, dont les berges étaient ensablées. Du sable poussiéreux, même pas de vase, à la place de notre tourbière, à la place de notre boue gonflée d’odeurs. Je me suis assise sur ce qui restait des arbres à terre et j’ai respiré de mémoire, mais ça ne me revenait pas vraiment. Ce qui me remontait c’était juste comme une image, comme une photo, celle de nos bottes de pluie ou de neige laissées en vrac dans l’entrée de la maison. Peut-être aussi des sensations, les sensations glissantes de nos pas téméraires et infatigables dans la tourbe, la neige, les prés gorgés. Aux stagnations de la rivière, il y avait parfois une couche de glace pleine de feuilles et d’ombres, je marchais dedans pour entendre fondre le bruit déchiré et faire hausser jusque dans mes mollets la caresse de la boue froissée sous mes bottes »*.
Rien que pour cela, n’est-ce pas ?
Clopine Trouillefou,
Beaubec la Rosière, le 15 août 2006
*extrait de Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Texte à paraître dans "Feuilles d'automnes 2006, les Carnets de résidence", (Association Feuilles d'Automne, octobre 2006, hors commerce).
* voir aussi "sensibles arpions et autres clopineries" (note du 26/04, catégorie "pieds" bien sûr)
Voilà le couple capturé (pas de bébés) . Ce sont bien des loirs, avec de belles queues touffues et des oreilles délicates... Une belle queue entourant une oreille ensommeillée... Il se sont endormis dès le lever du jour, l'un contre l'autre (parfois l'un en boule sur la boule de l'autre).
Y'a pas à dire, les rats des champs c'est autre chose que les rats des villes... Mettez-moi une Pisse Hille tonne ou même une Adrienne Carambar : elles tiennent pas la comparaison.
Mais maintenant on ne sait pas trop quoi faire : le loir est protégé et de toute façon à quoi ça servirai de les tuer ? Dans moins d'un mois, ils vont hiberner. On les as mis dans l'aquarium fendu qui traîne au grenier sur un vieux matelas. On monte les regarder, les admirer, les veiller en plein jour.
Leur posture me fait penser aux "boules-couples" de Jean-Luc et Titi Parant, notamment à celle-là :
Boule-couple.
Bronze, 20 cm.
Titi et Jean-Luc Parant
Les relâcher loin de la maison les condamnerait, ils ont déjà amassé toutes leurs provisions : mon mari a vu le mâle aller et venir vers son "trou" mais on n'a pas trouvé la réserve en question, nous leur montons donc des restes de fruits et légumes (le loir est végétarien).
Aujourd'hui tomates basilic (les reliefs de cacahouètes c'était pour des souris capturées l'an dernier).
Notre fille veut s'en occuper, les apprivoiser (il paraît que le loir se domestique facilement). Mais il va falloir les laisser tranquilles dès l'automne. Et les poils c'est très beau, mais notre grand garçon est un grand allergique.
Marie-Thé dans un commentaire sur la note précédente suggérait "Il faudrait que les loirs apprivoisent les loups. Rien à faire avant..." mais tout ça me semble bien compliqué. Les loups pourraient ramener encore plus de poils, et que de tracas avec le voisinage ! Morin habite juste en face de chez nous (même pas deux bornes à vol d'oiseau : on entend les chiens de traîneaux), faudrait pas qu'on l'accuse encore d'avoir lâché des loups...
Relâcher ces amoureux dans le grenier, et c'est nous qui ne pouvons plus dormir avant l'hibernation (et puis mes livres, on ne sait jamais, et le chanvre isolant qui part en miettes, tiens, faudra leur glisser des bouts, quand même, pour leur nouveau nid vitré.
Et puis... il me font pas seulement penser aux boules des Parant, repliés l'un sur l'autre contre une cloison de verre... ils me font aussi penser à mes Adolescents troglodytes, mes ados qui, eux, tiennent la comparaison.
Car y'a pas à dire, les ados des champs, c'est autre chose que les ados des villes...
Les bâillements se contaminent. Il est deux heures du matin. Julien fait le tour de la vitrine pour rejoindre le semblant de chambre de l’autre côté de la grotte. Il se penche en face de nous et touche l’édredon, je lui fait signe, non, il est trop humide, je crois même qu’il a pourri. Son dos est irréalisé par les deux parois vitrées. Il revient, ramasse la couverture laissée par Nadège et trifouille dans le râtelier pour récupérer un peu de foin séché, mêlé de cistre, étouffant de poussière. Je soulève le poupon du berceau pour en sortir la paille et je le donne à Marine, personne ne se moque.
On étale le foin et la paille dans le fond de la grotte, et mes gamins se couchent en se serrant (le lit c’est pour toi, Adèle, c’est pour les vieux).
Je ne vais pas me coucher. Je retourne m’asseoir au coin repas et je les regarde s’endormir. Je ne sais pas qui est tout contre qui. Je ne suis pas certaine de distinguer les plus jeunes dans l’ombre des autres. Je m’en fous. Ils sont là, en trois tas, dans une proximité qui m’échappe et me rassure. Les flammes de loin attrapent les reflets argent et or des couvertures de survie, qui bruissent au moindre mouvement, et bientôt se taisent.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
J’aimais Joë à cause de tout cet oubli factice qu’il me donnait. L’oubli est un signe de la mémoire. Un signe de loin, à peine perceptible, comme cette ombre sur mes yeux, pleine et douce. Cette ombre soulageait mes paupières, les fermait un peu, et j’imaginais n’importe quoi, lorsqu’il se penchait vers moi, lorsqu’elle se penchait sur moi, vaste, lisse, impénétrable.
Les nuits, même longues et chaudes, entrouvertes sur nous en été, même soulignées d’étoiles en désordre (ces étoiles ramassées autour d’une lune arrogante, ronde et toute tendue), les nuits, même sans aucune faute, belles comme des promesses tenues, et qu’un silence plus solide que le vent du sud peaufine encore, les nuits, aussi souples et naïves que la sueur déposée sur nos peaux, les nuits, même toutes les nuits ne pouvaient pas me couvrir d’une telle ombre. Cette ombre épaisse et mince portait tout un tas de lumières ciselées dans son cuir translucide. Elle était insondable et légère. Elle était si sûre d’elle que tout, tout autour d’elle, s’éclipsait, s’y confondait. Il n’y avait dès lors pas plus d’étoiles que de lune, mais juste ces grains de beauté plus noirs encore, et ces taches de nuit totale, qui me permettaient de fermer les yeux.
Je m’approchais de Joë, et mon regard s’épuisait. Je n’y voyais plus rien, ou si peu : les points noirs s’effaçaient les uns après les autres, les plis sur sa peau étaient toutes les étoiles retournées. J’entendais près de lui les lueurs disparaître, et si je posais mon visage tout contre son dos, l’ombre me promettait des bruits que j’aime, les ailes des chouettes soucieuses, les souffles nocturnes les plus discrets.
Mes yeux se fermaient et j’écoutais plus près encore. Ses poumons peinaient, il respirait au même rythme que se plient les ailes des chouettes, le bruit cinglait la nuit si lentement, si vite, que l’animal traqué était surpris, pris dans cet ensemble de plumes érectiles, plus chaudes encore que la nuit d’été sans lune dont elles froissaient l’espace, plus fluides que le souffle chaud sur lequel elles prenaient appui. Je me souviens de son dos tacheté, et de mes mains posées sur cette nuit aux bruits si réservés.
Je ne pouvais plus bouger.
Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002
Attestation
Je soussigné(e) :
Nom : XXX*
Prénoms : Emmanuelle, Michèle
Date et lieu de naissance : 15 septembre 1969
Profession : Professeur agrégé
Adresse : XXX en Vercors
Lien de parenté avec les parties : aucun
Lien de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts entre les parties : aucun
Sachant que l'attestation sera utilisée en justice, et connaissance prise des dispositions de l'article 161 dernier alinéa du Code Pénal, réprimant l'établissement d'attestation faisant état de faits matériellement inexacts,
Déclare : connaître Madame Danielle XXX depuis septembre 1985, date à laquelle nous étions dans la même classe au lycée. À cette époque, nous étions assez proches et Danielle m’avait déjà parlé de son désir de devenir une femme. Par ailleurs, étant en confiance avec moi, elle n’hésitait pas, lorsque nous étions seules, à se travestir, afin de se sentir plus à l’aise, plus en « conformité » avec ce qui paraît être à mes yeux sa véritable identité. Je peux donc témoigner en toute sincérité que Madame Danielle XXX a depuis son adolescence eu le désir profond et comme une nécessité de changer de sexe.
Emmanuelle XXX*, le 25 septembre 2004,
* (j'ai évidemment témoigné sous mon vrai nom, mon nom de naissance, et pas sous mon nom de femme mariée, qui n'est qu'un nom d'usage et un pseudonyme)
Je mets mes pas dans les traces de mon frère
jusqu’à l’arrêt de la navette.
(Lola, hiver 2004-2005)
Voilà comment commence Les Adolescents troglodytes, avant que la narratrice s'y mette.
Parce que le livre est venu à cause de ce petit poème, trouvé dans la marge d'un des cahiers de ma fille l'avant dernier hiver. J'ai lu ce poème et le roman a été mis en route, lentement. Des histoires de navette scolaire, de neige, d'écarts, mais aussi de fratries.
Les enfants font à pied les deux bornes jusqu’à la route déneigée. Ils m’attendent au pied du Mont comme leur grand frère, et quand le brouillard est plein, quand le brouillard l’oblige à regarder la neige par terre, Lise m’a dit l’an dernier, pour ne pas me perdre, je mets mes pas dans les traces de mon frère jusqu’à l’arrêt de la navette. Et Minuit marche dans les miennes, mais en me tenant le manteau.
autre version du poème (Lola)
Les trois garçons reviennent avec des chiffons couleur crème autour des hanches et nous interdisent le moindre mot. Je me sens un peu gourde dans mon drap poussiéreux alors je dis rien, et les petites cachent leurs rires de souris derrière le leur.
Nadège, maintenant d'une main sa couverture bien fermée, pose un paquet de cigarettes presque en lambeaux sur le manteau de la cheminée.
Sylvain se penche vers Nadège, il la prend par la main, la relève, et lui demande de le suivre.
Ils se cachent derrière le râtelier, on entend Nadège s’extasier, puis Sylvain ramène sa princesse : il lui a dégotté une belle robe noire et rouge début du siècle dernier, ouais, Adèle, elle était sur lit. Sans doute la tenue dominicale. Nadège splendide, vraiment, tourne sur ses sabots en souriant, en faisant des courbettes. Ses cheveux noirs et humides glissent le long des froufrous. On applaudit pour la deuxième fois.
Chut, nous intime Sylvain, en désignant le poupon dans le berceau près de la cheminée.
(...)
Je vois par la porte laissée entrouverte le rouge palpitant de la troisième cigarette de Nadège, qui prolonge son bras noir de plus de cent ans.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Philippe De Jonckheere, il déteste les "moi aussi", il déteste les commentaires.
Et moi ça me fait drôle de le lire "goûter le spectacle des buses et des faucons dans le vent" alors que je vis dans ce spectacle (je vis ou je vois, quelle est est la concordance, est-ce du temps ou de l'espace ?).
À ce moment de lecture, je n'ai plus envie de dire "moi aussi", mais "ah, lui aussi" ? Je sais que dans ce coin de vent, à quelques dizaines de kilomètres seulement du "mien" à vol de buse, il y va depuis même avant que je sois née. Et pourtant je suis des fois à la fois si fatiguée, amusée, et soulagée, des regards des gens des villes lorsqu'ils lèvent les yeux vers les buses que je ne peux pas m'empêcher de penser : mais que faisait-il cet hiver quand la burle les empêchait de voler ? Que font-ils tous lorsque nous ne recevons plus le courrier ? Lorsque nous n'avons plus de profs (été comme hiver) ? Oh je sais c'est pas malin, lui il y est pour rien, lui, je sais à peu près comment il vote, il vote pas dans ce sens, ce sens sens dessus dessous, qui nous enlève tout service public, bien au contraire. Et lui, il en a d'autres, des problèmes, des combats à mener. Oui mais j'aimerais que des gens comme lui, des gens que j'admire, des gens qui pensent, j'aimerais qu'en regardant voler faucons et buses, ces gens ils pensent à ça : qu'ils pensent à nous, qui sommes nuit et jour, hiver comme été, dans ce vent, qui nous battons contre les genêts, les préjugés, l'aménagement absurde du territoire, l'exploitation sans retour de notre seule richesse* qu'est le vent. J'aimerais peut-être aussi, sans doute, qu'il lise ce que j'en fais, moi, du vent.
Et ça me fait tout drôle de le lire essayer "d’apporter quelques modifications, quelques corrections à Portsmouth" alors que j'en suis aux mêmes corrections, à ces mêmes angoisse et soulagement : "je suis pris d’angoisse lorsque je ne parviens plus à tordre les phrases et au contraire agréablement soulagé quand les biffures envahissent la page".
Seulement, il ne veut pas que l'on écrive "moi aussi". Je crois qu'il veut être seul, et moi je crois qu'il ne l'est pas. Parce que, même si cette idée lui ferait hausser les épaules, cette plume que j'ai ramassée en promenant mon petit Paul dans un vent si fort qu'il l'empêchait de pédaler et faisait siffler l'armature de son tricycle, et bien cette plume, elle était peut-être sur le corps de l'une de celles qui lui donnait à voir son spectacle.
*(oui je la ferai cette note sur les éoliennes, mais leurs pales brassent tellement de choses que je ne sais pas par où les prendre)
J'en suis donc aux dernières retouches sur Les Adolescents troglodytes (dead line : fin septembre, m'a dit Jean-Paul Hirsh, je traduis "fin août", car en septembre, j'ai d'autre pain sur la planche, et surtout d'autres ados sous les yeux et les oreilles).
Les derniers repérages (voir "des passages"), l'entrevue avec Morin à propos de Dryade et Shendo (entre voir et note du 7 août) mais aussi les lectures "bêta"* d'amis et familiaux me permettent d'y voir plus clair, d'avoir un peu de recul, ou de précision.
Il y a d'abord eu mon webmaster, puis Danielle, puis Sylvère, puis Christel (qui a été ma première lectrice de tous, on devait avoir l'âge de ma fille, 11-12 ans), et Pascal, très perspicace et très illisible (le plus critique aussi, donc c'est peut-être lui qui me fait le plus avancer).
Avec le webmaster, Sylvère et surtout avec Pascal, on a pu discuter en tête à tête mais ma Lorie, quand elle est venue, elle m'a dit que non, elle me rendait pas encore ses corrections, qu'elle n'était pas encore "satisfaite" de ce qu'elle avait marqué, et qu'elle me les enverrait par mail. Alors moi je dis : y aurait pas de l'Hortense dans ce "report" ? J'attends ton mail, Mal Haut (rit Hortense, rit).
* C'est Gilda qui m'a appris le terme de "bêta lecteur", étant elle-même une "bêta" de Martin Winckler.
Je voulais retrouver, relire, me remettre dedans, encore un fois, ce passage que j'ai lu aux feuilles d'automne*, parce que c'est dans ce passage que ma narratrice va se donner/trouver un prénom, rendu nécessaire par le tutoiement des gamins qu'elle transporte (voir "la chauffeuse, on la tutoie").
D'ailleurs la phrase exacte de Sylvère est "les chauffeurs qu'on connaît bien/voit souvent ou les tutoie par leurs prénoms"
J'écris "se" donner/trouver parce que (et la remarque de Sylvère tombe très bien) "se" chercher un prénom fait aussi partie du "parcours" trans. Il ne s'agit pas forcément de féminiser (ou masculiniser) un prénom déjà porté, mais aussi renaître dans son vrai corps et de cette seconde naissance les trans en sont à la fois acteurs et sujets (les filles en particulier, dont l'opération implique les mêmes soins que pour une accouchée).
J’avais pris beaucoup de calme aux soins post-opératoires, qui m’occupaient chaque jour au moins deux ou trois heures en tout. Je les faisais patiemment, je me sentais excessivement sereine. J’essayais de ne pas toucher mon clitoris, un reste du gland préservé et innervé. Il était tellement sensible que mettre des jeans m’était difficilement supportable. Les exercices de dilatation avec des godes chirurgicaux étaient plutôt désagréables, mais j’avais rencontré chez le kiné une jeune maman avec qui j’étais devenue copine, et j’aimais bien la retrouver. Je lui parlais de ma seconde naissance. Elle me racontait sans pudeur son épisio ratée, sa colère, ses problèmes de relation avec le bébé, le père inutile, le grand frère inquiet, tous les soucis sans fin des suites de couches. Je la surprenais en train de faire des petits crobards. Elle refermait vite son cahier en rougissant, je voudrais bien écrire un roman, et ça devient toujours une BD sans bulle, mes mots sont introuvables. Elle pleurait à mon histoire, je m’étais confiée totalement, elle était si nature, fraîche, blanche, belle, sincère. Je sentais qu’elle pleurait sa propre histoire en écoutant la mienne, mais ça nous faisait tellement de bien à toutes les deux, ces pleurnicheries intimes.
Appeler ma narratrice Adèle, c'est aussi rendre hommage à ce livre, qui compte beaucoup pour moi, et qui de toute façon était déjà très présent dans Les Adolescents troglodytes où il y a bien sûr une ferme engloutie par une retenue d'eau.
Et à ce passage extraordinaire, dans lequel Adèle Cotte, donc, est tuée par le taureau de Leppaz, surgit des eaux.
J’aimais beaucoup aller voir les chevaux, les entendre, les entendre bien avant de les voir. Pas les entendre, non, plutôt sentir leurs bruits peser sur le sol, des centaines de mètres tout autour. J’aimais marcher sur leurs vibrations étirées, corpulentes. Je me laissais trembler dans leurs trots écartant les fibres de la terre, lourde elle aussi, malmenée.
J’étais dans un livre qui ne me quittait plus. Je l’avais emprunté à la bibliothèque du lycée parce qu’il décrivait la lutte contre une inondation dans la montagne. Je m’étais embarquée dedans et j’avais décidé de ne jamais le rendre. Il y avait un passage très beau, où une vieille dame se faisait éventrer par un grand taureau sortant des eaux qui recouvraient les champs. Le bruit des chevaux remontait dans mon corps avec ce souvenir, et je me suis jurée un soir de choisir le prénom de cette vieille pour ma seconde naissance, en espérant finir toute ratatinée comme elle, toute menue, dans un corps à corps démesuré avec le paysage en mouvement.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Tiens, j'avais complètement oublié que ce livre portait la marque de mon beau-frère, comme quoi la grosses bête cachait la petite dans mon souvenir.
* pp 327 à 331 de l'édition en folio, lecture dans "bibliothèque idéale aux feuilles d'automne", page entre voir.
Christian Morin en personne raconte l'histoire de Shendo et Dryade, c'est un petit film, une entrevue faite par votre serviteuse en vue d'une documentation pour Les Adolescents troglodytes (le décor dans le film : notre intérieur de luxe avec en fond sonore le petit qui fait son train-train, le grand qui déjeune et racle son bol, et des rires de mon webmaster...).
Pour écouter les loups, un bel enregistrement de silence radio
Pour mémoire et pour comprendre, dans ce cahier :
"Interpellation" (l'arrestation des loups),
"La Rajasse (coïncidences encore et encore)" (lire les commentaires touchants de François),
"au loup" (lettre au procureur pour dénoncer l'inscription prenant le loup comme prétexte à l'incitation raciale),
"L'écrivain, l'enfant et le loup dans le Vercors (dans le dos)" : note du 20 avril (comment les histoires du loup font partie du paysage culturel des enfants vertacos, ce que n'a pas compris l' "écrivain").
Juste après la naissance des petits, le bourru a pris dans ses bras deux autres jumeaux, Shendo et Dryade. Il les a confiés au chef de meute, un grand husky de Sibérie, auquel ils se sont soumis très vite. (...)
Le frère et la sœur n’aspiraient pas l’eau, mais la lapaient comme des chiens. Déjà Shendo relevait la queue en s’approchant de Nil. Dryade quémandait des caresses sur le ventre d’une grande patte maladroite, et Paule se vautrait dans sa panse.
Le loup, et pas un loup la queue dressée, a été repéré un matin très tôt près de l’arrêt de la navette, pas loin de leur maison. Les traces d’un grand chevreuil devant les siennes ne laissaient aucun doute. Il était en chasse, sinon il ne se serait jamais approché si près du hameau, les loups sont trop peureux. Ce ne pouvait pas être un loup apprivoisé non plus, il ne se serait pas enquiquiné à poursuivre le chevreuil. Mais cette apparition a provoqué des réactions démesurées et contradictoires. Les chasseurs et les écolos se sont foutu sur la gueule, pendant que les jumeaux essayaient de suivre à l’école.
Ils sont arrivés un vendredi matin vers 7H30, juste à l’heure de la navette. Dix gendarmes, quatre gardes fédéraux, avec des perches et des seringues, pour embarquer les jumeaux.
Mais le loup traînait toujours sa queue basse dans la brume du plateau, les poils sans doute à peine embarrassés de rumeurs et de rosée.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Elle nous réveille tous les matins avant le lever du jour, elle fait un bordel pas possible dans les cartons et les planches du grenier. Hier on l'a vue car elle descendue dans la salle de bain pendant la douche de mon webmaster. Elle poussait des petits cris aigus indignés. Il m'a dit elle rouspète parce que j'ai fouiné pour essayer de trouver le nid (je crois qu'elle a plein de petits).
J'ai levé les yeux vers le plafond, le dessous du plancher du grenier, duquel elle était descendue, ses petites pattes agripées aux pierres de taille.
C'est un loir, la queue toute duveteuse, de grands yeux noirs dans son petit visage clair. Une femelle, mais on dit quand même un loir (non ?), comme une souris est une souris même avec des couilles.
La Loire, elle, c'est pas pareil, mais elle coule tout près d'ici.
On pourrait presque la voir sortir du mont depuis la fenêtre du toit du grenier.
Le deuxième garçon habite devant le mont, il monte quand j’ai fait le tour. Parce qu’ils me font faire ça, le tour du mont d’où sort le fleuve, je les appelle les ligériens, mes ligériens même. Il faudrait dire altiligériens, mais c’est moins facile, et comme je ne les appelle qu’à part moi, ça me regarde.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Dans mon dernier livre, elle y est, la Loire, mais mon mari et moi discutons de le possibilité de le chasser (le tuer ?), le loir, et nous convenons que c'est pas grave, d'être réveillé si tôt, quand il ajoute "tu sais, les loirs ça aime bien les livres".
Or le grenier, c'est mon futur bureau, il y a donc tous mes cartons de livres.
Je veux bien laisser déborder la Loire dans celui que j'écris, mais ce loir ligérien femelle dévorant mes livres (c'est-à-dire mes livres à lire et relire : ceux des autres), nourrissant ses petits avec, ah non, non, pas question.
Je suis allée ouvrir quelques cartons pour voir.
Mais il est pas bête, ce loir.
Mon webmaster est en train d'isoler le grenier avec de la laine de chanvre : c'est bien plus moelleux et plus chaud et bien meilleur que des pages de littérature (moi je déteste les livres tièdes et confortables).
J'aime bien ce "nécessaire à déplacer les montagnes". C'est un objet de Philippe Ramette (1993).
J'aime les cordes et le bois, j'aime l'absurde, un absurde massif et poétique.
Les cordes sont enroulées comme rangées : le nécessaire est prêt à servir, au cas où. C'est que des idées à mouvoir, des montagnes d'idées préconçues, mal conçues, à bousculer, y'en a.
J'imagine presque crédule les gros bras chargés du déplacement. Des hommes Sysiphes, des hommes bourrins, des hommes lumière, des marcheurs, des hommes fous, des hommes poètes, peut-être.
Ses muscles sont longs, pleins. Il a des muscles de travailleur, pas des muscles de salles de sport, et ça me touche. Pour travailler sur cordes, il suffit pas de savoir escalader et d’avoir confiance dans le matériel, aux ancrages bien scellés, tu sais, il faut avoir une sacrée expérience du froid, de la solitude, il faut être en bonne condition physique. Il suffit pas de savoir grimper, il faut avoir confiance en soi et connaître ses limites, et travailler, travailler ses limites, ses faiblesses. Il chuchotait comme si c’étaient des confidences. En regardant son bras, son avant-bras, ses poignets serrés et sa main valide, il me semblait rêver ses déplacements sur les parois. Mais il s‘est assis brutalement et a caché ses mots dans ces bras magnifiques, ses mains retenaient ses cheveux, l’atèle levé au milieu de son crâne.
Il me regardait à la jumelle, il a vu la paroi se détacher, il m’a vu tomber. C’est fini, Axel. Non, le bruit, tu t’imagines pas le boucan que ça faisait, et ça remuait de partout.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Déplacer les montagnes, c'est pas un boulot pour la DDE, la voirie, ou les creuseurs de tunnels, non, il a raison Ramette, c'est un travail d'artistes, de poètes, de lecteurs, de spectateurs, et de marcheurs.
Marcher c'est écrire, lire c'est marcher.
Déplacer les montagnes, partager des paysages et des mots*, sauter des frontières, en marchant, en lisant, c'est un peu l'utopie de la
Cinquième édition des Pérégrinations Littéraires dans la Montagne jurassienne
Coppet et son château (Vaud), Esplanade du Lac Divonne-les-Bains (Pays de Gex), Abbaye cistercienne de Bonmont (Vaud), alpages franco-suisses du Noirmont et Lac des Rousses (Haut-Jura).
La détail de l'aventure sur le site de "saute frontière".
*Info trouvée sur le site de Joël Bastard, grand poète marcheur, poète grand marcheur, invité de ces Pérégrinations.