Mes Suisses et la neige de soleil
Je voulais mettre cette note dans "yeux" juste parce qu'on lit avec les yeux, mais non, c'est tout le corps...
... tout le corps parce que c'est tout le corps qui s'engage à les lire, mes deux Suisses,
... tout le corps parce qu'à les lire, les mots passent par tout le corps : une façon de porter un vêtement, une peau qui déborde de graisse et de maladresse, une boule au ventre, des gestes et des grimaces, des taches et des odeurs, des tâches et des sueurs, des corps admirablement décrits dans leurs postures, leurs rapports à l'espace. Parce que ces corps s'inscrivent très justement dans des lieux peu ordinaires, des lieux pourtant pas folichons, des lieux tout bêtes et souvent délaissés par la littérature (une gravière, des terres salissantes et si peu pittoresques, une cuisine sale, une chambre dans une serre, une cressonnière, un lotissement, des lisières ambiguës).

Chez l'une l'histoire passe par les corps parce que les personnages n'ont pas de mots. Mais ce sont des mots (magistralement écrits) qui sont là pour dire cette absence de mots. Les corps sont pas beaux à voir, leurs gestes sont particulièrement déplacés, parfois obscènes et pourtant portés sur une scène qui nous oblige à regarder. Ces gestes et postures sont le langage de personnages qui nous paraissent incroyablement proches. Leurs petites manies, leurs mesquineries nous les connaissons.
Pascale Kramer arrive à nous mettre dans ses livres. Parce qu'elle écrit remarquablement bien, et qu'elle réussit à nous malmener, à nous mener dans sa très personnelle écriture.

Chez l'autre il y en des mots, dans la bouche du narrateur, étrangement mis ensemble : une langue nouvelle, et curieusement pertinente.
Et moi en plus d'être lectrice (et écrivain) je suis petite-fille, nièce, cousine de paysans, j'habite en milieu très rural, et s'ils ne sont pas Suisses, mes miens, j'en connais, des Paul, qui ressemblent à celui-là, et pourtant pas tout-à-fait. Il y a ce "pas tout-à-fait" où elle excelle,
Noëlle Revaz : un livre très réaliste, et pourtant à côté. Mais pas à côté parce que raté : à côté parce qu'inventif, parce que sublime (et le sublime, c'est le beau, mais pas tout-à-fait, le beau et la transgression, le beau et la peur, le décalage).
Un de mes oncles est mort de rire avant 40 ans (et d'alcool et de vie rude sans doute) : il s'appelait Paul. Il a basculé en riant, ne s'est plus relevé, ses copains de bistro lui ont dit : "Allez, arrête faire le con, maintenant, lève-toi". Quelque chose en moi ne se relève pas de cette lecture. Je suis abasourdie, sonnée.

J'ai rencontré Pascale Karmer à
Genève, je n'arrivais pas à lui faire comprendre combien ses livres m'avaient marquée, je me sentais très bête. Elle m'a sourit et m'a présentée Noëlle Revaz, ou plutôt elle m'a dit : lis son livre. Puis Noëlle est arrivée, on a discuté 5 mn. Elle m'a juste dit qu'elle n'arrivait pas à se remettre à l'écriture, bien que les lecteurs réclament un nouveau livre. J'ai trouvé ça très prétentieux, pourtant elle n'avait pas l'air d'être prétentieuse. J'ai voulu y aller voir, y aller lire, et me voilà disant : mais à quand un nouveau livre ?

Toutes les deux sont Suisses, cela ne peut pas être lié à la qualité de leur écriture (et ça doit les agacer les rapprochements nationaux), mais je ne peux pas m'empêcher d'associer les montagnes et l'altitude à ce rapport aux corps et aux lieux qu'elles investissent. Il y en a même une qui est allée chercher jusque très près des flancs des vaches des impressions nouvelles dans un
Rapport aux bêtes saisissant (et la littérature régionale, et la littérature sur le monde paysan, je connais, ces conneries touristico-romancées sur la beauté de la nature, l'intemporalité, le rythme des saisons : on a toujours l'impression que l'auteur a peur de se salir, ici c'est le contraire : l'auteur nous met la boue dans le nez et la bouse dans les yeux, on cligne des paupières).

Je les ai lues toutes les deux depuis un bon moment, mais je me décide à peine à en parler, maladroitement, aujourd'hui 31 mai : c'est décalé, oui, mais depuis ce matin dans le soleil gelé il neige jusqu'à recouvrir les pollens secoués à terre, et agacer les vaches, alors c'est le bon jour.


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Le Saule, l'épaule pleureuse

Les arbres aussi ont des corps, penchés.

Le Saule, c'est une des chansons que j'écoutais pendant l'écriture des Adolescents troglodytes, elle est signée et chantée par Dick Annegarn (mais comment rendre sa belle et profonde voix de gorge ?).

Saoule le saule
Qui saoule la Marne
Qui marne le saule
Souille la vague
Qui va à la vase
De ton tronc d'eau

L'eau lave l'eau lave l'eau lave l'air
Saule pleureur saule pleure

Houle des hanches
Tes hanches de branches
Tes branches de fleurs
Voue à la voile
Atoll d'étoiles
Tes larmes de pleurs

L'eau lave l'eau lave l'eau lave l'air
Saule pleureur saule pleure

Voûte l'épaule
Pieuvre de gaule
Pieuvre de bois
Bois le calice
Calice propice
Aux ombres d'eau

L'eau lave l'eau lave l'eau lave l'air
Saule pleureur saule pleure
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le fond du lac
Une image du lac du Salagou comme vous ne l'avez jamais vu ou comme vous l'avez oublié : à sec et couffle de vignes. Pour moi c'est une drôle d'image, parce que je suis née en même temps que lui, que ce lac, et je n'ai pas pu voir ces vignes.
Sur la photo, un homme vendange. C'est mon grand-père. À côté de lui, hors champ, il y a mon père et ma mère, venus donner un coup de main. Ma mère m'attend (huitième mois je crois) : je suis là, mais pas vraiment, comme le lac. Tout est prêt pour nous accueillir et bientôt vont monter, ou se perdre, les eaux.

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Le lac artificiel des Adolescents troglodytes se situe ailleurs et en altitude, dans un pays sans raisin, mais toute l'idée de ce deuxième lac (car dans le livre il y a un autre lac, un lac naturel, le premier lac du livre, enfin le premier... lequel finalement est le premier ?), toute l'idée de ce lac, donc, vient de cette mémoire bizarre que j'ai des vignes de mon grand-père, que je ne connais qu'à posteriori, noyées, détruites, insoupçonnables dans la vase (en découvrant cette photo, je n'arrivais pas à situer où elles pouvaient bien être, ces vignes). Mais je pourrais presque dire : oui, j'y étais, dans le ventre du lac.

(Et dire encore que mon ventre à moi a été entr'ouvert au bord de l'autre lac, le lac naturel des Adolescents troglodytes, dire que... mais une autre fois)

Je me demande si le lac artificiel en recouvrant mon enfance a remonté ces corps, ou ce qu’il en restait. À moi il m’en reste le souvenir de tout cet effort de sang et de boue, de feuilles mortes avec lesquelles je me suis frotté et mouché après, en pleurant.
(...)

Sous morphine, et sous la douleur qu’elle calmait si mal, je voyais les deux corps, le veau large et mon petit frère, mon petit fœtus violet, nager vivants dans les eaux du lac. Le veau trop massif a coulé. Le petit bout, mon petit frère, ma petite sœur était comme bercé de gestes sous-marins, il remontait, j’approchais une main dans mon délire, je touchais un bras porté, une jambe menue et bleuie à la surface, une épaule légère et creuse comme du bois flotté.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

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corrections après une lecture extérieure intime
Les Adolescents troglodytes ont pour narratrice une fille qui est née dans un corps de garçon, mais pas n'importe laquelle. Cette fille, je la connais. Ou plutôt je connais une fille qui m'a servi de modèle pour cette narratrice. Ce n'est pas la première fois, bien sûr, mais cette fois, et c'est une première pour moi, elle était au courant.

Il faut dire que cette fille, Danielle, a été aussi "ma" première fois, ou plutôt la première personne avec un corps de garçon, et c'était au bord du lac où descendent les Les Adolescents troglodytes, ce qui n'est pas rien. Mais de ça j'en reparlerai. Du lac, où je suis revenue, d'elle, de son frère, des garçons. Des coïncidences de ce livre (parce qu'au moment où j'en avais commencé l'écriture, cette fille m'a aussi contactée pour me demander de témoigner au tribunal en vue de son changement d'identité, et c'était aussi le moment où je venais de retrouver ce lac avec mon mari... et encore d'autres étrangetés, mais plus tard sinon...).

Cette fille a donc logiquement été la troisième à lire/vérifier mon manuscrit (le premier comme presque toujours c'est mon mari, le deuxième mon éditeur, le quatrième est mon ami Pascal, qui vient d'emporter la chose chez lui... le cinquième sera mon fils Sylvère - à cause de son expérience des navettes scolaires en zone de montagne, et parce qu'il me l'a demandé, et parce qu'il est assez grand, et parce qu'il se sent concerné par les ados bien sûr, mais aussi par la cause trans, comme tout citoyen qui se respecte - et la sixième devrait être Ma Lorie - et Ma Lorie c'est POL, mais sur cette histoire aussi il faudra que je revienne).

Et voilà que mon amie Danielle m'écrit ses impressions d'après lecture, puisque je le lui ai demandé.

Petits extraits de ses remarques et mes réponses :

page 56 : sodomisé e ?

- sodomisé : elle ne peut l'être que dans son corps de garçon (pour elle) Pour elle c'est la seule façon d'être pénétrée dans son corps (encore) de garçon, mais elle n'aime pas. Donc elle ne sera jamais sodomisée puisqu'une fois dans son corps de fille, elle peut l'être vaginalement (tiens, un néologisme) (...) J'ai bien conscience que beaucoup de filles aiment la sodomie (...) pourquoi elle elle devrait aimer, juste parce qu'elle a eu un corps de garçon en étant une fille qui aime les garçons ? Enfin bref je me comprends !

page 57 : plusieurs accords de genre : sodomisé e, cogné e, esseulé e, rhabillé e ?

Oui j'alterne volontairement les deux : elle a une expérience "malheureuse" avec un type qui ne comprend rien et la ramène a son "statut" de trans non opéré(e)

page 65 : démodé e ?

Oui là encore c'est le regard gêné du frère, donc au masculin, même si j'ajoute "pour une femme" c'est exprès

page 72 : reconnu e ? mais tu faisais sans doute référence au petit garçon...

Oui, il ne reconnaît pas le petit garçon

page 74 : reconnu e ? (deux fois)... idem

Oui idem 

Les accords de genre ils en principe tous "pensés" mais je vais vérifier : il y a son enfance au masculin mais surtout il y a une impression qui persiste parfois : elle se met au masculin quand elle pense que les autres la voient au masculin. Ou quand elle se juge.

Mes deux petits commentaires, bon tu vas peut-être me trouver tatillonne car c'est vraiment du détail et j'en fais pas une affaire mais comme tu m'as demandé mon avis :
page 57 : tu écris :
C’était ridicule exagéré et cette fois vraiment monstrueux, d’autant plus qu’y penser me faisait bander ... ben je trouve pas que ce soit si réaliste que ça, plutôt "m'excitait" sans forcément "faire bander".
page 69 :  tu écris :
J’ai abandonné mes études, j’ai travaillé comme serveuse hôtesse, ben je trouve que c'est ta seule petite concession à un cliché sur les trans... parce que j'ai interprété "serveuse hôtesse" comme serveuse de bar à hôtesses (c'est ça non ?) et pourquoi renvoyer à truc de sexe vénal ? est-ce que ça apporte vraiment quelque chose au personnage, si ce n'est le relier à ce à quoi on nous assimile malheureusement quasi systématiquement ?

Tu m'aides beaucoup : par ex serveuse hôtesse j'hésitais, donc tu me confirmes mon impression.

Quand à la phrase où elle dit "bander" oui c'est vraiment bander que je veux dire, mais il peut y avoir confusion avec excitée, je vais carrément parler d'érection, car je veux l'encombrer, juste avant son opération, d'un machin de mec qui se lève !

tes descriptions de la trans sont extrèmement justes ! j'en suis même un peu bluffée, il y a bien sûr un peu ce dont je t'ai parlé mais il y a aussi des trucs que tu as trouvé toute seule et qui sont tellement vrais, dans les émotions, dans ses sentiments, dans ses douleurs intérieures...
Bref, je suis profondément touchée et reconnaissante de ce que tu as écrit, bouleversée quoi. Ben ça alors, tu peux être fière de toi !
Je trouve aussi génial le parti pris de parler à la première personne, je suis sûre que les lecteurs s'identifieront plus facilement au personnage, alors qu'il est tellement difficile d'appréhender ce que nous ressentons.


ce que tu dis me fait plaisir : sur ce que j'aurais trouvé toute seule : mais non je dois dire que c'est assez facile pour moi de me mettre à la place d'une fille, même si elle a un corps de garçon alors que l'inverse me serait impossible. J'ai juste transposé ce que je ressens : par ex tu m'avais dit toi même pour les suites opératoires, ayant accouché c'était fastoche d'imaginer. Sur le désir idem. sur la difficulté d'être une femme : ben je connais... etc. il me suffit de m'imaginer avoir un pb de corps, et j'en ai eu d'autres. Et puis aussi : je m'intéresse quand même au sujet, à la représentation des trans (je déteste ce terme, je te dirai pourquoi). J'ai aussi déjà réfléchi au pb de la transexualité à propos de mes enfants (bon, il ne semblerait pas que ça les concerne mais pour Paul c'est trop tôt pour savoir). Dans la même idée impossible pour moi d'écrire autrement qu'à la première personne, puisque ce sont justement mes propres sensations transférées. encore une fois je ne pourrais pas parler à la placer d'un garçon qui aurait un corps de fille !


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la fille aux cheveux noirs, son petit
La plupart des photos que vous voyez dans ce cahier sont signées, ou font partie de mes archives perso (photos de famille ascendante, photos faites par mon mari, par mes enfants, par moi-même). Celle-ci fait exception. Je l'ai trouvée dans un mag de type "vie de famille" (magazine de la CAF), je ne sais plus lequel et je ne connais pas son auteur (je ne pense pas que le crédit était indiquéWinking. J'espère qu'il n'en sera pas fâché, même virtuellement (peu de chances qu'il tombe sur ce site).
Cette photo je l'avais découpée quand j'écrivais Le Tiroir à cheveux, comme beaucoup d'autres : je travaille beaucoup d'après photos. D'ailleurs, quand une photo se trouve devant un extrait de livre dans ce cahier, ce n'est pas une photo que je colle à posteriori, c'est au contraire le plus souvent une photo sur laquelle s'est appuyé le récit. Parce que j'ai besoin d'images (pas seulement des fixes d'ailleurs), parce que les photos ce sont aussi des rencontres, des retours à ma mémoire (photos d'archives), des rêvasseries, ou des rencontres crues, comme avec celle-là.
Cette photo, pourtant maladroite et presque mal cadrée (encore une fois mes excuses à l'auteur), est extraordinaire. Elle est au-delà de l'ordinaire (une fille en survet allaitant dans un milieu public, j'en ai vu plein, mine de rien c'est ordinaire), elle dépasse cet ordinaire. À bien y regarder le lieu est non identifiable, de sein on ne voit pas, et les visages sont tout autant cachés. Ces deux là sont totalement fermés à notre regard, nous échappent. Ces deux là ne sont que l'un à l'autre et l'autre à l'un, le temps et l'espace de la photo. Cette photo est nue, brutale, cette photo est pour moi une des plus belles images de "mère à l'enfant".

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J’ai trouvé la salle d’attente du secrétariat permanent. Il n’y a pas de distributeur de tickets avec des numéros. D’ailleurs il n’y a presque personne, juste une jeune maman et son bébé. Enfin, jeune, je sais pas. Je ne vois pas son visage, parce que toute la masse de ses cheveux retombe très noire (elle est entièrement penchée vers le petit corps replié entre ses deux bras parallèles). Je ne vois pas le visage du bébé (tout son corps est orienté vers le sein de sa mère). Je ne vois pas le sein non plus, mais les plis d’un pull retroussé au-dessus du crâne du bébé, et deux mains, une grande, qui retient le pull, une toute petite posée sur la grande.

Le tiroir à cheveux
, août 2005, POL.

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recherches et promenades
Voici quelques endroits où je suis allée de ma main droite (sur le net) pour écrire Les Adolescents troglodytes, bonne ballade et bonnes supputations :


ici et là

puis

mais aussi

et , et vers encore.

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l'autre fille (ou pour ne pas en finir avec les coïncidences)
autres(photo extraite des Autres filles de Caroline Vignal)

Dans le Tiroir à cheveux, il y a une autre fille : je cherche son nom depuis longtemps. À chaque rencontre avec des lecteurs, à chaque fois qu'on me demande "pourquoi une coiffeuse" ? Dans des salons du livre, dans des médiathèques, à la radio, à la télé, partout je l'ai dit : parce qu'au moment de l'écriture du livre j'ai vu un film à la télé, un très beau film, dans lequel une jeune fille, élève en LEP (section coiffure) découvrait la sexualité, les autres, etc, et tout ou presque passait par des gestes aux cheveux : par exemple, je me souviens que pour approcher un garçon elle lui disait "est-ce que je peux te couper les cheveux" et j'ai une scène en mémoire, très sensuelle, érotique même, très belle, d'une coupe de cheveux à un garçon...

Vendredi à Le Pin lors d'une rencontre encore, on me pose cette question, et je réponds pareil: "parce qu'au moment de l'écriture du livre j'ai vu à la télé etc" et cette fois j'ajoute "maintenant que l'INA à ouvert ses archives sur le net, il faut absolument que j'aille farfouiller pour trouver le nom du film"...

Mais je n'ai pas eu besoin d'aller farfouiller à l'inanet. À la fin de la rencontre, séance dédicaces : et voilà que je signe un Tiroir à cheveux pour une dame qui prétend être la belle-mère d'une fille qui aurait réalisé un film comme ça. Quoi ?!! Une dame s'intéresse à mon livre, une dame habitant près du Lac de Paladru, il doit y avoir à peine une vingtaine de personnes à cette soirée, et cette dame serait la belle-mère de la fille qui a fait de ma narratrice une coiffeuse? Je lui demande les références, je suis toute, toute, je sais pas quoi... À peine rentrée je vérifie... et voilà, une des meilleures coïncidences du moment (et pourtant y'en a hein, faut voir les histoires de Clopine et Gilda).

Le film s'appelle les Les autres filles, il a été réalisé par Caroline Vignal, dont j'attends impatiemment un e-mail (via sa belle-mère !). Bien sûr comme rien n'est assez gros pour les coïncidences, c'est pas le tout, cette fille se dit originaire de Béziers, là où j'allais au lycée (Pas devant les gens se situe dans une ville en partie faite de morceaux de Béziers, en particulier le lycée Henry IV avec sa vue sur la prison) et c'est tout près de Béziers que se trouve le village du Tiroir à cheveux.

Mais je laisse parler Caroline :

«J’ai eu envie, ou besoin, de m’éloigner de moi-même, d’aller voir ailleurs. Écrire,
ça peut être un alibi en or pour aller là où on n’est pas censé aller, rencontrer des
gens qu’on n’est pas censé rencontrer... J’ai eu tôt l’idée de la coiffure, je ne sais
plus comment, c’était une intuition bonne, car en allant dans les lycées profes-
sionnels regarder ce qui s’y passait, j’ai vu se cristalliser sous mes yeux beaucoup
de questions que j’avais envie d’aborder : la découverte et l’acceptation de sa
propre féminité, le regard des autres, le regard de soi... J’ai besoin du biais d’un
personnage pour rentrer dans une histoire."

Voilà, même plus besoin de répondre aux questions, tellement c'est ça... Et encore :

Les «grands sujets» ne m’intéressent pas, j’ai envie de partir de l’anecdotique, du très ordinaire: ce qui m’intéresse,
c’est le regard qu’un personnage peut porter sur ces choses si «petites», si «insi-
gnifiantes» soient-elles, comment il les vit, ce qu’il ressent...»

Parce que c'est ce que j'essaie d'expliquer, maladroitement, ce que je n'arrête pas de "revendiquer"...

Plus qu'une rencontre avec la belle-mère de Caroline, je viens de rencontrer à nouveau ce film, je retrouve tout, j'en suis très troublée, émue, parce que j'ai écrit ce livre à côté de ces Autres filles, tout comme je me sentais à côté de La Religieuse, (sauf que si je rencontre la belle-mère de Diderot, je me fais none, cette fois).



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on ne doit pas avoir peur
À Genève, je suis allée au salon du livre recevoir mon premier prix puis Jean-Paul Hirsh (attaché de presse chez POL) m'a dit "Borges est enterré derrière votre hôtel".

Alors, le lendemain, on y est allés, au cimetière des rois, on s'est baladés tous les deux entre les tombes, on s'est arrêtés.

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J'ai lu l'inscription, indéchiffrable pour la non-érudite que je suis, et plus tard je suis allée me renseigner :
l'inscription est extraite d'un vieux poème relatant l'épopée des Vikings et peut être traduite par "on ne doit pas avoir peur".

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Moi je suis pas Borges, je suis peut-être trop jeune, je ne sais pas, mais j'ai très peur, très peur de mourir. C'est pour ça que j'écris, sauf que je sais bien que je vais mourir quand même alors tiens, je vais lire Borges, pour me donner du courage.

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