Dans la maison, il y avait un bol de m&(bip)'s. Moi je suis sûre qu'il n'était pas plein, loin de là. Je l'ai fini. Presque quatre ans après, à la moindre occasion, les grands me le reprochent encore. Ouais, souviens-toi la fois où tu as mangé un bol entier de m&(bip)'s. J'ai beau répondre qu'il n'était pas plein, que si c'est que ça, je leur en achèterai de quoi remplir un saladier, rien n'y fait, cet épisode revient sans cesse sur la table.
La dernière fois, c'était avec Lola, et cela avait un lointain rapport avec mes livres (toutes, absolument toutes, les occasions sont bonnes pour me le rappeler).
Nous avons donc passé un accord pour que ces récriminations cessent enfin : à partir du prochain relevé de droits d'auteur, je leur achète un de ces bonbons pour chaque exemplaire vendu. Ma fille espère qu'il y'en aura des milliers...
Sachez donc ceci : à chaque fois que vous achetez** un de mes livres, vous mettez dans le saladier une des ces cochonneries en chocolat. Et même, je me dis que je ferai écrire dessus le titre des livres, tiens, ou même encore mieux "merci à tous les lecteurs".
* sur la photo, ou plutôt dans la photo, c'est le grand qui se prépare.
** ou que vous avez acheté, les relevés étant plutôt décalés...
Un été, Sylvère avait envisagé d'ouvrir sa mallette aux trésors, celle de son enfance. Pour se souvenir de ses secrets. Il n'était plus sûr du code. Alors il y avait été aux tenailles, puis à la hache.
C'est étrange de lire sa prose : c'est une peu comme ouvrir cette valise. Son écriture ressemble à la mienne au même âge, mais avec ses mots à lui, un peu, comment dire... écrits à coups de hache, et aussi, ce qui me frappe le plus, avec, presque, une écriture de garçon. L'adolescence est très sexuée, j'aurais pu m'en douter, que son écriture serait masculine*. Et voilà ce qui nous sépare le plus je crois : jamais je n'aurai cette idée d'ouvrir mon jardin secret à la hache. Je lis les mots de mon fils aîné et je n'en fini pas de comprendre combien nous sommes proches et étrangers l'un à l'autre, essentiellement par ce mystère : j'ai eu un garçon**, devenu si grand que je ne peux plus le porter depuis longtemps, tandis qu'il soulève des billots bien plus lourds que moi.
Choisissez-en un ou plusieurs... ou rien. (Quik-Dark)
l’italique : Secte
Bienvenue chez les malvenus, entrez dans le cercle, entrez dans le ring céleste, sous mon auréole vicieuse à contresens. Le Backstage V.I.P. pour l’apocalypse ou l’éllipse, c’est 300€ Toute Tuerie Comprise, ou en nature polluée.
le gras : Saveur (pompée)
Je vœux juste une langue pour tirer (porc tu hère), une langue pour parler, une langue dans ma bouche, tirer, tirer sur la solitude et tirer la timidité, entre ses lèvres, sans moustaches comme mon regard sans maître ni élève, je m’élève, sur cet être, cette lettre qui me fût fatal(e)...
Je suis arrivé à un stade d’indifférence totale, hier soir il y a eu des coups de feux mouillés dans mon quartier, c’était en bas de chez moi et je suis resté allongé, les gens disent que c’est mal, es-ce mal d’aimer ? Mal aimé ? je vois deux fois mieux en double mon regard est malmené, que faire à part me la ramener ? ramer ? c’est au fer rouge qu’on m’a amené, pour me ramener, rien à faire, le jour d’avant je me suis souvenu qu’on était hier, j’ai bon dos, le dos de la cuillère, ma tête est têtue comme une poudrière, quand la vie m’a accueillie dans son bordel histoire de me faire dépuceler, ça s’est très mal passé, c’est à cause de mon passé, que j’aime pisser, avec ma faux mes fautes et ma capuche à la mort je ressemblait, ça dépasse l’entendement j’ai entendu crier cirer “à la mort !” quand je suis passé, mon sang est glacial et mon regard mord comme pince un cétacé, quand le poulailler des coquettes caquette “c’est assez !”, c’est dans leurs becs, que les chiens bouffent des croquettes, en fait, je suis comme tout le monde j’aime la fête, vaut mieux fêter la fessée, et je prend des risques en train de me mouiller, sauf que mon existence repose sur un cachet, d’aspirine, j’aspire, je suis “in”, de la couleur de mon teint, sur ma tête de mule qui ne se comprime quand on la tiens, tien dans ta tête c’est pas compris, dans mes textes toutes mes saveurs et mes primes sont comprises, ça y vas ça y est, c’est arrivé, j’ai mis les doigts dans la prise, à mon arrivée, la salope je ne l’avais pas vue elle s’était cachée, sous un cachet de la poste, cachez-vous tous à vos postes, mon postit me rappelle, je suis en train d’écrire un poème avec entrain, donc je disais, enfin j’écrivais : enfin un cachet de la couleur de la coke, des bulles de coca et du plâtre, fais gaffe, ses vapeurs toxiques quand tu le grattes, sont plus eufollisantes, enlisantes, que l’Absinthe, comme l’amour ah ! la feinte !, la Burn m’endors et l’alcool me réveille, alors je veille, mais ça ne vaut pas le miel, des yeux de cette abeille, piquante comme une rose, cette folie cette fille maintenant femme devant qui rien je n’ose, a de si belles pupilles que tu ne sait même, pas si elle te regarde, j’aimerais qu’elle m’aime, et si tu la vois par mégarde, prend, et reste sur tes gardes, mes conseils tu te les tutoies et tu te les gardes, cet être féminin est le meilleur réveil de la planète, et moi la drogue, faut que j’arrêtes...
le souligné : 3 heures (scientifiquement et artistiquement prouvées)
Quand tu dors trois heures par nuit tu comprends que ta journée commence quand tu te réveilles et non à la première heure de cours, eh ! t’es au courant ? la musique est un courant qui cours et emportes le cours, les courses et l’existence courte, une course de frénésie qui coupe court et dirige, irrigue, les dirigés, vers l’héroïsme, l’érotisme (enivrant comme l’héroïne) de la banalité, entassés dans des cartons, dans lesquels ne dorment plus les marginaux, 3 heures, anaphore pour ne pas dépasser dans la marge, 3 heures de repos, 21 heures de vie, trois, 90 jours de vie par an, apprendre à apprendre à n’en pas profiter, 3 heures pour résister au profit qui emplâtre la face à nos profils, 3 heures une auréole vicieuse de bruit, une vie au bout du fil, 3 heures de défit, de déficit, devant les défilés de diversité on se défile, pourtant on est plus des garçons, des filles, on est un ménage à 3 : Travail, Famille, UNiformisationm ; la vie : une boîte d’oeufs qui nuit, tenue correcte exigée, enfants, retraités et marginaux non-ad mis ; l’existence : tu ris, pas de tuerie sale truie, une free party, une utopie, une anarchie, avec trois heures de sommeil par nuit...
* On parle souvent d 'écriture féminine (est-ce qu'elle existe, ou pas, etc) et très peu d'écriture masculine : ce serait l'écriture tout court. Or, à moi il me semble que très très peu d'hommes écrivent de manière sexuée (les femmes beaucoup plus) - là je ne parle pas des ados, je parle des écrivains on va dire "adultes" ... De tous les textes lus ces derniers mois, je ne pourrais dire si un homme où une femme les a écrits (sans se préoccuper des thèmes, en ne regardant que l'écriture). Et quand je ne peux pas le dire, et bien soit je constate (j'en ai connais deux, Cécile et Mallaury pour ne pas les nommer, qui s'amuseraient beaucoup avec ce "constater" là, placé ici...), soit je constate, donc, que c'est un homme, soit que c'est une femme dont je me dis qu'elle écrit mal ! L'exception étant encore et toujours cet homme écrivain, cet homme écrivant, Joël Bastard (il dit qu'il a une écriture physiologique, pour expliquer cette présence de son corps), dont l'écriture masculine est tellement travaillée qu'elle est à la fois très sexuée, et universelle : humaine. Elle passe par le genre pour le transcender.
** et même deux, mais le petit encore est si petit. Plus une fille, dont l'adolescence commençante se révèle encore plus compliquée et difficile...
Un jour, je me suis penchée sur l'une d'elle. J'étais surveillante d'externat. Enfant à charge : 0 (j'en avais qu'un à l'époque). Renseignement pris, "dans les bureaux", je n'avais effectivement pas d'enfant.
J'insiste, en leur certifiant que si, j'en étais sûre, d'en avoir un. Je me souviens bien avoir été enceinte. Je me souviens de l'accouchement "avec douleur" et de la rééducation suite à quelques "erreurs" (plus de 4ans !). Il est même pas loin, ce petit garçon, vous savez tous les jours toutes les nuits je suis avec lui, sauf quand je vais travailler au collège...
On me demande de le prouver. Je leur demande quel intérêt j'aurais à mentir avoir un enfant. On me répond "à cause de l'ASF" (un supplément de salaire de 17,5 francs à l'époque). Je leur conseille de lire la fiche familiale d'état civil déjà fournie. On me répond que cette fiche doit être un faux. À force d'insister, on s'énerve, on me traite de fraudeuse, etc. Je commence moi aussi à perde mon humour.
On me sort l'agurment imparable, avec agacement : "madame, si vous aviez été enceinte, on aurait trace de votre congé maternité, or il ne figure dans aucun service !"
Je proteste : c'est sûr, je n'ai pas pris de congé maternité. Ah, elle est bonne celle-là, c'est impossible ! Si c'est possible, j'ai eu cet enfant avant de commencer à travailler.
La personne n'a pas pu s'empêcher alors de me faire la morale, mais elle a conclu en disant que mes fiches de paie allaient être modifiées.
Il y a un peu plus de 15 ans, j'étais étudiante en cinéma à l'université Paul Valéry de Montpellier. Au milieu de ça, de mes études, cette naissance improvisée dans ma jeunesse. Je croyais vouloir faire des études de cinéma, puis écrire sur le cinéma, tout en m'occupant de ce petit têtard étrange. J'ai compris que je voulais surtout écrire, et j'ai finalement laissé tomber ma thèse sur le "cinéma cicatriciel", pour écrire encore sur des cicatrices, de façon plus libre. Un récit, puis des romans.
Il y a quelques jours nous venons d'apprendre que mon grand têtard est pris en section cinéma/audio-visuel au lycée. C'est un peu loin de chez nous, mais il voulait faire "ça" et c'est tellement près de notre histoire. Je vois bien que ce qui l'intéresse dans le cinéma, c'est l'écriture, et d'ailleurs il gribouille partout. Ecrire, dessiner, créer, de mère en fils.
Allez, Sylvère, je te souhaite de belles et longues études en cinéma, et je suis très fière de toi.
Etre mère on se doutait que c’était le début de l’interminable, mais aucune d’entre nous n’avait imaginé combien elle aimerait ça, comment elle pourrait se complaire dans ce temps dépressif, langoureux, de ses gestes à ses enfants. Les voir grandir imperceptiblement. Ne pas les voir grandir.
Le présent nous prend, le silence est aussi fort que les cris, et le silence nous garde. On se tait devant la désespérance quotidienne des beautés, des chagrins, au coucher, au lever. Cette belle et grande amertume au moment de border les enfants. Il ne reste rien que ces journées, ces nuits : il ne reste rien que le temps.
Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002
De mon grand-père j'ai gardé le nom, mon nom, pour ma vie de tous les jours*. C'est le nom d'un village près du lac recouvrant ces vignes, ce lac né le même mois que moi (voir "le fond du lac).
Ce nom signifie quelque chose comme une roche dure, sèche, mais qui garde la trace de l'eau. Une roche où l'eau est passée, il y a longtemps.
Cela correspond à l'inverse de l'avènement de ce lac...
Aujourd'hui j'habite près d'un lac naturel et volcanique (voir "le ventre du lac", note du 2 juin) et plus près encore (juste au-dessus) d'une retenue artificielle reliée à ce lac naturel.
Il arrive que cette retenue soit vidée, mon fils aîné y est descendu, dans la vase poudreuse, un jour de grosse colère.
Il a mis à peine deux heures pour dévaler la montagne, gagner le fond du lac, puis remonter. Il était vidé de vitesse et de fatigue. Il est revenu fier et souriant de son escapade, il est revenu très sale et calmé.
Il porte à la fois mon nom et mon nom d'écrivain, liés par un trait d'union (une exception législative particulière à l'ancienne loi sur le nom de famille).
Il y avait plusieurs promeneurs, des randonneurs, des pêcheurs à la rivière retrouvée, dont les berges étaient ensablées. Du sable poussiéreux, même pas de vase, à la place de notre tourbière, à la place de notre boue gonflée d’odeurs. Je me suis assise sur ce qui restait des arbres à terre et j’ai respiré de mémoire, mais ça ne me revenait pas vraiment. Ce qui me remontait c’était juste une image, comme une photo, celle de nos bottes de pluie ou de neige laissées en vrac dans l’entrée de la maison. Peut-être aussi des sensations, les sensations glissantes de nos pas téméraires et infatigables dans la tourbe, la neige, les prés gorgés. Aux stagnations de la rivière, il y avait parfois une couche de glace pleine de feuilles et d ‘ombres, je marchais dedans pour entendre fondre le bruit déchiré et faire hausser jusque dans mes mollets la caresse la boue froissée sous mes bottes.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
* je ferai bientôt une note sur les noms de "jeunes filles" car en la matière le code civil est en France très peu respecté.
Sur la photo, un homme vendange. C'est mon grand-père. À côté de lui, hors champ, il y a mon père et ma mère, venus donner un coup de main. Ma mère m'attend (huitième mois je crois) : je suis là, mais pas vraiment, comme le lac. Tout est prêt pour nous accueillir et bientôt vont monter, ou se perdre, les eaux.
Le lac artificiel des Adolescents troglodytes se situe ailleurs et en altitude, dans un pays sans raisin, mais toute l'idée de ce deuxième lac (car dans le livre il y a un autre lac, un lac naturel, le premier lac du livre, enfin le premier... lequel finalement est le premier ?), toute l'idée de ce lac, donc, vient de cette mémoire bizarre que j'ai des vignes de mon grand-père, que je ne connais qu'à posteriori, noyées, détruites, insoupçonnables dans la vase (en découvrant cette photo, je n'arrivais pas à situer où elles pouvaient bien être, ces vignes). Mais je pourrais presque dire : oui, j'y étais, dans le ventre du lac.
(Et dire encore que mon ventre à moi a été entr'ouvert au bord de l'autre lac, le lac naturel des Adolescents troglodytes, dire que... mais une autre fois)
Je me demande si le lac artificiel en recouvrant mon enfance a remonté ces corps, ou ce qu’il en restait. À moi il m’en reste le souvenir de tout cet effort de sang et de boue, de feuilles mortes avec lesquelles je me suis frotté et mouché après, en pleurant.
(...)
Sous morphine, et sous la douleur qu’elle calmait si mal, je voyais les deux corps, le veau large et mon petit frère, mon petit fœtus violet, nager vivants dans les eaux du lac. Le veau trop massif a coulé. Le petit bout, mon petit frère, ma petite sœur était comme bercé de gestes sous-marins, il remontait, j’approchais une main dans mon délire, je touchais un bras porté, une jambe menue et bleuie à la surface, une épaule légère et creuse comme du bois flotté.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)