L'émission est intitulée : "Lectures croisées La rentrée parisienne de janvier" mais les journalistes de préciser que moi, hein, je ne suis pas Parisienne... bon j'habite pas le Sud de Valence non plus, mais c'est pas grave, l'essentiel est de comprendre que je suis une pacouline, une fille des champs et des forêts...
(photo Cécile Dubot)
Mercredi, c'était jour de ménage, donc jour d'écoute : en faisant le ménage, j'écoute avec un casque sans fil toutes les émissions ballodiffusées pendant la semaine (essentiellement sur France Culture*).
Les gestes précis et organisés, habituels, presque sans y penser (Genet appelle ça "les gestes des anges"** dans Notre dame des fleurs***), me permettent une vraie concentration.
Mercredi donc, cette fois sur la RSR, j'ai fait deux découvertes entre les lignes podcastées : Joëlle Satgoll, qui parlait de façon claire et touchante de ces livres qui se font malgré vous, et aussi de cette mémoire qui menace de disparaître, puis Alice Ferney, une joie communicative, qui suinte de tous ses mots, et cette idée affirmée haut et fort du quotidien qui nourrit les livres (préparer un lapin, par exemple).
Il était aussi question de gestes triviaux, quotidiens, vulgaires, "élevés" au rang de thèmes littéraires sur le bateau-livre dans la belle parole de Marie Ndiaye (mais est-ce une évidence réservée aux femmes ?).
* au prochain ménage, j'écouterai ce jeux d'épreuves spécial.
** À propos d'anges, Leur Matricule (en son représentant Thierry Guichard) a fait une critique très enthousiaste des Adolescents troglodytes, avec une très belle photo, ça m'a fait monter quelque temps sur un petit nuage (pardon descendre, puisqu'on est souvent au-dessus).
*** Je passais le balai, je faisais la vaisselle, la cuisine, le linge. Le linge franchement j’aime bien, ça se fait tout seul, même le tri (je sais pas où j’ai lu ça, un personnage de livre les appelait les gestes des anges, les gestes d’intérieur qui se font tout seuls). Axel bricolait après le lycée, il réparait les fuites, tout ce qui foutait le camp, et y’en avait beaucoup. Un jour il a tracé une saignée le long des murs pour refaire l’électricité, je l’ai traité de fou, il y avait de la poussière partout, il était tout gris et blanc. Il a passé la main sur ses paupières, et son regard est sorti de ce geste tout noir et vivant. (Les Adolescents troglodytes)
Tout d'abord, la fille qui doit lire me montre ses notes, elle a suivi, me dit-elle, un stage pour savoir comment lire un texte littéraire, on lui a appris à écrire des informations sur le texte, dans le texte, à côté du texte, pour la lecture, et je trouve ces "gribouillis" fascinants :
Puis elle lit le texte, très impliquée, et je trouve à cette lecture une maladresse touchante, je l'écoute attentivement, mais je ne comprends pas d'où elle vient cette sorte de gaucherie.
Plus tard, cette fille extraordinaire me fera cette "confidence" : vous savez, je suis malentendante.
Je travaille déjà à ce moment là sur Les Mains gamines, dans lequel la narratrice a un sacré problème d'oreilles, mais rien à faire, je n'avais pas compris une seule minute que cette fille n'entendait tout simplement pas comme moi...
Denis Maillefer, le metteur en scène du Théâtre en flammes lui a demandé de le reprendre pour lire Le Tiroir à cheveux, il préférait, disait-il, "ancrer le texte dans le sol". Et c'était bel et bien (presque) le même accent que j'avais en tête en écrivant ce livre, sauf qu'après, une fois le livre publié, je l'avais mise de côté, cette sorte de version originale, et je ne parlais plus que de celle dont on me parlait, la version écrite.
Alors ça m'a fait tout drôle d'entendre Marika à la BCU de Lausanne lundi. Au début même ça m'a surprise, presque choquée, je trouvais sa façon de lire "vulgaire", trop directe, trop brutale (elle faisait la "piche", comme on dit chez nous), elle s'est même arrêtée pour manger une clémentine trouvée dans le tiroir de cette petite table pour seul décor, et à continué sa lecture la bouche pleine...
Puis, peu à peu, j'ai retrouvé tout le fond sonore du livre, et même des mots qui n'y étaient pas, des mots qui étaient comme sous-entendus par la lecture de Marika, comme à l'arrière-plan de cette histoire. Dans cet accent il y avait aussi des paysages, des odeurs, des sensations oubliées : tout le hors-champ du livre.
Pour écouter il faut aller sur la page rencontres.
Parfois on ne refuse pas de lire le texte fini, en public, non sans émotion et bafouillages.
Mais ce qu'on aime par-dessus tout, c'est entendre les autres lire ou lire les autres.
Entendre les auteurs lire leurs propres textes, et pourtant ils le font souvent mal, mais c'est ce "mal" là qui est prenant. Charles Juliet a écrit sur les voix dans "L'autre faim", on peut voir/écouter cet extrait de Juliet lisant justement ce passage sur les voix, et c'est beau beau beau.
Il y a aussi les heures qu'on passe à lire des histoires à nos gosses, avec des images sonores qui reviennent plus souvent que d'autres : plus de 15 ans que je m'y colle, au Grand échalas*...
Les enfants eux-mêmes se lisent ces histoires, les plus grands faisant découvrir leurs préférés aux petits.
Sans doute ma mère faisait-elle de même, je n'en ai pas de souvenir, mais c'est impossible autrement.
Et puis il y a les livres lus par les hommes, avec leurs belles voix profondes.
Lorsque j'ai rencontré le père de mon fils, je lisais en silence Les Mémoires d'Adrien de Yourcenar (ou c'était L'Oeuvre au Noir ?)**. Il s'est assis en face de moi et m'a proposé de me lire Flaubert. C'était ce que je préférait de lui, cette voix me lisant Salammbô. On avait une histoire d'été, très libre et légère, mais à chaque fois il y avait cette lecture, et ça c'était sacré. Sauf qu'un jour où je n'avais pas envie de l'attendre, j'avais fini le livre toute seule, et ça l'avait mis dans une colère impressionnante. Il était jaloux de ma lecture solitaire.
Le père de mon fils me lisait lui les phrases sans bornes de Flaubert, et m’envoyait des lettres courtes, très précisément justes. Il n’y a pas une seule hésitation dans les textes froids que j’ai reçus. Je lui ai écrit moi aussi, un peu plus tard : je lui parlais de ma solitude et de cette liberté que je n’aurai plus jamais. Je lui parlais de ma liberté et de cette solitude dans laquelle je serai toujours. J’étais enceinte et décidée. Il n’a jamais répondu.
(...) je voulais garder cet enfant envers et contre tout, contre tous, et s’il le fallait peut-être contre lui.
(...) son silence grandit à mes côtés.
(...) Sur la plage, avant la fin de la nuit, bien avant de sentir mon fils se placer, se tourner dans mon ventre, j’avais déjà perdu le regard de son père. Il s’était levé pour pisser face à la mer. L’aube commençait à se tordre sur la plage, près de l’embouchure où le fleuve se mélangeait à la mer en prenant des couleurs soutenues, dans les bleu roi, bleu sombre, tous ces bleus que j’aime tant. J’attendais le matin, je questionnais cet homme debout devant les vagues. On aimait parler ensemble, très près l’un de l’autre, il n’était pas nécessaire d’aller plus loin, et déjà attendre le jour c’était beaucoup pour mon âge. Je n’étais pas ambitieuse de grandes histoires d’amour. Je finissais mes vingt ans avec une insouciance aussi grandiose et saugrenue que son idée de pisser au reflux. Le fleuve se mêlait plus que jamais à la mer, les bleus finissaient par se confondre. On était rentrés avec le jour pour se débarrasser de l’humeur de la mer et faire l’amour sans aucune précaution, mais c’était si tôt encore ce matin-là dans ma vie, que je ne pensais pas plus aux maladies qu’aux lendemains. Je ne me sais plus très bien à quoi je pensais. J’étais comme l’auditrice libre de cet homme. Il me lisait Salammbô et me racontait ses affaires d’amour du jour, de la nuit, enfin, ses affaires.
On vivait dans une nuit d’été sans vent, une nuit sans début ni fin. Cette nuit n’était faite que d’un soir hésitant jusqu’à l’aube : si longue la menteuse mais si courte. J’écoutais tout ce qui se passait, j’étais attentive à ce temps sans fin. J’étais patiente comme cette nuit. J’étudiais, curieuse, les mensonges de cet homme qui me faisait la lecture.
Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002
*à force d'ailleurs le livre s'abîme, et il est introuvable, donc si vous voyez un jour un exemplaire plus ou moins neuf de ce livre, merci beaucoup de m'en avertir : Le Grand échalas, texte de Rose Impey, illustrations de Moira Kemp, éditions du Seuil
** tiens, ça me fait penser, il vient de commencer Les Nouvelles Orientales (pas le père, le fils)
Patricia, elle, en a profité pour m'entretenir avec elle dans son émission "le matou revient"* : c'était très détendu, et on a parlé de plein de choses, et en plus, la très belle surprise, c'est que l'émission se finit avec un bout de L'enfance de Léo ferré.
* (et cette chanson de Steve Waring, je la connais : j'ai trois enfants).
Voilà le couple capturé (pas de bébés) . Ce sont bien des loirs, avec de belles queues touffues et des oreilles délicates... Une belle queue entourant une oreille ensommeillée... Il se sont endormis dès le lever du jour, l'un contre l'autre (parfois l'un en boule sur la boule de l'autre).
Y'a pas à dire, les rats des champs c'est autre chose que les rats des villes... Mettez-moi une Pisse Hille tonne ou même une Adrienne Carambar : elles tiennent pas la comparaison.
Mais maintenant on ne sait pas trop quoi faire : le loir est protégé et de toute façon à quoi ça servirai de les tuer ? Dans moins d'un mois, ils vont hiberner. On les as mis dans l'aquarium fendu qui traîne au grenier sur un vieux matelas. On monte les regarder, les admirer, les veiller en plein jour.
Leur posture me fait penser aux "boules-couples" de Jean-Luc et Titi Parant, notamment à celle-là :
Boule-couple.
Bronze, 20 cm.
Titi et Jean-Luc Parant
Les relâcher loin de la maison les condamnerait, ils ont déjà amassé toutes leurs provisions : mon mari a vu le mâle aller et venir vers son "trou" mais on n'a pas trouvé la réserve en question, nous leur montons donc des restes de fruits et légumes (le loir est végétarien).
Aujourd'hui tomates basilic (les reliefs de cacahouètes c'était pour des souris capturées l'an dernier).
Notre fille veut s'en occuper, les apprivoiser (il paraît que le loir se domestique facilement). Mais il va falloir les laisser tranquilles dès l'automne. Et les poils c'est très beau, mais notre grand garçon est un grand allergique.
Marie-Thé dans un commentaire sur la note précédente suggérait "Il faudrait que les loirs apprivoisent les loups. Rien à faire avant..." mais tout ça me semble bien compliqué. Les loups pourraient ramener encore plus de poils, et que de tracas avec le voisinage ! Morin habite juste en face de chez nous (même pas deux bornes à vol d'oiseau : on entend les chiens de traîneaux), faudrait pas qu'on l'accuse encore d'avoir lâché des loups...
Relâcher ces amoureux dans le grenier, et c'est nous qui ne pouvons plus dormir avant l'hibernation (et puis mes livres, on ne sait jamais, et le chanvre isolant qui part en miettes, tiens, faudra leur glisser des bouts, quand même, pour leur nouveau nid vitré.
Et puis... il me font pas seulement penser aux boules des Parant, repliés l'un sur l'autre contre une cloison de verre... ils me font aussi penser à mes Adolescents troglodytes, mes ados qui, eux, tiennent la comparaison.
Car y'a pas à dire, les ados des champs, c'est autre chose que les ados des villes...
Les bâillements se contaminent. Il est deux heures du matin. Julien fait le tour de la vitrine pour rejoindre le semblant de chambre de l’autre côté de la grotte. Il se penche en face de nous et touche l’édredon, je lui fait signe, non, il est trop humide, je crois même qu’il a pourri. Son dos est irréalisé par les deux parois vitrées. Il revient, ramasse la couverture laissée par Nadège et trifouille dans le râtelier pour récupérer un peu de foin séché, mêlé de cistre, étouffant de poussière. Je soulève le poupon du berceau pour en sortir la paille et je le donne à Marine, personne ne se moque.
On étale le foin et la paille dans le fond de la grotte, et mes gamins se couchent en se serrant (le lit c’est pour toi, Adèle, c’est pour les vieux).
Je ne vais pas me coucher. Je retourne m’asseoir au coin repas et je les regarde s’endormir. Je ne sais pas qui est tout contre qui. Je ne suis pas certaine de distinguer les plus jeunes dans l’ombre des autres. Je m’en fous. Ils sont là, en trois tas, dans une proximité qui m’échappe et me rassure. Les flammes de loin attrapent les reflets argent et or des couvertures de survie, qui bruissent au moindre mouvement, et bientôt se taisent.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
À cause du magazine de la santé* (ou peut-être à cause de Jean-Philippe, encore), la narratrice du roman qui m'occupe en ce moment a une bête dans l'oreille tout le long du livre. C'est un truc à rendre folle jusqu'à celle qui l'écrit, parce que la bestiole ne peut pas faire marche arrière et tape dans le tympan. Il existe plusieurs "solutions" pour la faire sortir, sauf que, voilà, y'a pas que la bestiole, dans l'histoire, à faire sortir.
Pour l'instant, ça s'appelle Les Mains Gamines, "ça" n'a pas vraiment de sens, ça commence à s'écrire, tout doucement, et violemment aussi.
Dessin : Quikdark quand il était plus jeune (avec les fautes d'origine).
*J'adore ce magazine, je le trouve à la fois riche et simple. Si je pouvais, je le regarderais tous les jours (même si là je suis plutôt d'accord avec Martin Winckler).
Pour moi le magazine de la santé est un condensé d'images littéraires (et pas seulement grâce à Gérard Collard, qui est quand même mon libraire "people" préféré...
Par exemple, j'ai gardé aussi ça sous le coude de ma main qui écrit...
... c'est un peu normal, pour un écrivain qui essaie de comprendre le corps humain et ses variantes, ses défaillances. J'ai d'autres références aussi bien-sûr (tiens, il faudrait que je mette en ligne les biblios de mes recherches universitaires : j'ai travaillé sur "le mal au ventre d'Alex" dans le Mauvais Sang de Léos Carax, puis sur les démembrements chez Pasolini, et enfin sur ce que j'appelais "le cinéma cicatriciel").
Non, les couleurs ne sont pas des sensations visuelles...
À tous les enfants et adolescents qui prennent, ont pris, ou prendront la navette, en particulier à Lola encore, à Paul, Sylvère, Hugo et Jasmin. À tous les petits loups des plateaux.
Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)
Voilà, je viens d'écrire un livre "avec"* les jeunes de nos plateaux.
Les jeunes du Vercors, et ceux d'ici.
Il ne faut pas croire qu'ici, les seules fêtes sont des vogues centenaires, des fêtes du patois, ou encore des bals où des gars éméchés se battent à coups de chaînes. Il y en a, bien sûr, mais les "gars" dans ces fêtes là sont plus que trentenaires ou quarantenaires*.
Les jeunes, eux, ne voient pas la musique comme ça. Ils ont donc créé leur propre fête, un festival de rock, le festival des violettes.
Cette année au programme - c'est-à-dire demain : Ange, ministère magouille, les salmonelles, les vieilles valises...
C'est un festival de rock pour penser un peu :
Ce festival musical est organisé par les jeunes du village et alentours afin de proposer une animation culturelle originale en mileur rural.
Chansons françaises, rock alternatif, textes engagés, autant de qualités pour vous faire vibrer le corps et l'esprit.
En effet tous les groupes de musique présents adhèrent à une même idéologie de développement rural à échelle humaine.
C'est dans cette perspective, que sera proposé le village associatif : quelles opportunités de vie en zone rurale fragile ?
Toutes les générations sont invitées à partager cette ambiance conviviale, simple, en retrait des soucis et train-train quotidien.
Quand j'écris penser, c'est que les violettes en question, ce sont le plus souvent des pensées :
À cette époque, on est plutôt dans les épilobes, hautaines et roses...
Quand j’étais petit, je faisais des kilomètres en vélo dans les landes farcies d’épilobes, je coinçais mes roues dans les hampes pourpres encombrantes, mais je ne voulais pas faire le tour par la route.
Mais ils ont raison, les jeunes, moi aussi, je préfère les violettes, et tant pis si elles ne sont que des pensées, tant mieux si elles nous font penser.
Et aussi : "penser" n'est pas l'exclusivité de Saint-Germain-des-prés, une véritable réflexion a souvent lieu à quelque-part-les-vrais-prés remplis de pensées, heu, non de violettes...
* quand je dis "avec", je me comprends, la plupart ne sont pas au courant, et je m'autorise toute forme de faux témoignage...
* je dis "nos" jeunes, parce que je suis maman d'un garçon de 15 ans, je passe donc dans la catégorie des "vieux". Je dis "nos" jeunes parce que je parle des jeunes d'ici, mais ceux d'ailleurs, ils sont tout aussi pensants (et oui, ma bonne dame).