né de la neige
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On va me dire : c'est pas de saison, mais je répondrai : c'est un souvenir. Et l'été me fatigue. Les oiseaux me saoulent, les arbres sont pleins de sève qui coule et colle. Et aussi, je pense à ceux qui vivent en bas de la montagne, dans la poussière et la chaleur, alors je leur envoie les images cette naissance inuit et fraîche, inouïe dans les contractions de la neige.



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bleuie
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Revoici que l'hiver confronte
Un bleu de neige au bleu de nuit
dites-moi sapin qui mord qui
L'ombre descend ou l'ombre monte ?

Maximine
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des pinceaux dans les tiroirs de nos salles de bain
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Hier dans son bain*, le petit dernier (celui qui a les cheveux jusqu'en bas du dos) voulait absolument de "la peinture, là" ! Il m'a fallu un moment pour comprendre qu'il voulait jouer avec le blaireau du grand, qui pour le petit était un gros pinceau.

En novembre mon libraire, qui m'avait invitée pour Le Tiroir à cheveux, avait sorti ses plus beaux tiroirs pour présenter mes livres, il avait aussi mis des livres de peinture et des pinceaux.

Je croyais que c'était à cause de mon travail (je suis prof d'arts plastiques), mais non, le hasard, a-t-il prétendu.

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Ma , celle de la photo du site, celle aussi du Campement urbain, ma Cécile concentre presque tout son travail dans la salle de bain, elle fait ses photos et ses peintures. C'est dans sa salle de bain, bien sûr, que l'on travaille ensemble. C'est dans sa baignoire qu'elle m'a prise en train de me laver : cette photo où l'on ne voit (presque) que mon épaule et mes cheveux mouillés, cette photo de fond du site...

Cheveux, poils et pinceaux.

Peintures et corps dans nos salles de bains. Ecriture du quotidien. Et cette angoisse plus forte que celle de la représentation, plus forte que celle d'écrire, si présente dans le Le Tiroir à cheveux.

(....) laisse-moi tranquille (et je t’interdis de toucher à ses cheveux).

Une drôle d'impression, alors, quand je lis ça, hier, dans le bloc-note du désordre :

Le chemin qu’il faut parfois parcourir pour atteindre une aussi modeste distance. Aujourd’hui la séance avec l’éducateur de Nathan avait pour but d’amener Nathan à bien vouloir se laisser couper les cheveux qu’il a fort épais et qui vont lui tenir chaud cet été, c’est certain, au point de le rendre parfois irritable. Nathan, comme la plupart des enfants autistes, nous assure Benjamin, l’éducateur, a horreur qu’on lui touche les cheveux, qu’on les lui lave — c’est toujours moi qui les lui lave, une fois toutes les deux semaines, parce qu’Anne n’en a pas la force physique, et chaque fois que je le fais, je ressors de la salle de bain à la fois épuisé mais aussi trempé de la tête aux pieds — et il déteste tout particulièrement qu’on les lui coupe.

Première étape : on propose à Nathan de lui couper les cheveux. Refus catégorique.

Deuxième étape : on propose à Nathan qu’il me coupe les cheveux, il flaire un piège et c’est assez long pour le convaincre de venir me passer la tondeuse dans les cheveux.

Troisième étape : Nathan me coupe les cheveux. C’est long, il me les tire beaucoup, je ne dois surtout pas lui laisser penser que c’est une opération douloureuse. J’ai une coupe punk. Je suis très content.

Quatrième étape : On propose à nouveau à Nathan de lui couper les cheveux. Refus on ne peut plus catégorique.

Cinquième étape : On se coupe tous une mèche de cheveux. Anne, Benjamin, Madeleine et on en coupe même une mèche à Adèle qui rigole.

Sixième étape : on propose à Nathan de lui couper juste une mèche. Refus catégorique

Septième étape : je coupe une mèche de cheveux à Madeleine et j’en fais un pinceau avec un élastique et un crayon à papier. A l’aide de ce pinceau très rudimentaire, je dessine un
poisson rouge — Nathan adore les poissons — sur une feuille.

Huitième étape : je propose à Nathan qu’il fasse, lui, un dessin avec le pinceau artisanal aux cheveux de Madeleine. Il est d’accord et il est très content.

Neuvième étape : je demande à Nathan s’il aimerait bien que je lui fasse un pinceau avec ses cheveux à lui. Je m’emmêle un peu les pinceaux dans mes explications, réaction terrorisée de Nathan.

Dixième étape : je montre à Nathan que je peux me servir des cheveux de Madeleine directement depuis sa tête, qu’ils sont assez longs pour être trempés dans le pot d’eau puis dans de la peinture
rouge et que du coup je peux lui faire deux gros cercles rouges sur les joues comme si je le maquillais. Coopération admirable de Madeleine qui se penche dans tous les sens pour me permettre de maquiller son frère à l’aide de ses cheveux à elle que je trempe dans de la gouache carmin, elle fait la moue parce qu’elle devra se laver les cheveux ce soir, mais elle trouve que j’ai des idées bizarres et elle aime bien quand j’ai des idées bizarres.

Onzième étape : je montre à Nathan dans un miroir la tête que je lui ai faite avec les cheveux de Madeleine.

Douzième étape : je montre à Nathan que ses cheveux à lui sont trop courts et que je ne parviens pas à les tremper dans le pot d’eau, je fais très attention à ne pas tirer trop fort.

Treizième étape : je tends la paire de ciseaux à Nathan, qui se coupe gaillardement les cheveux en tous sens sous un tonnerre d’applaudissements de la part d’Anne de Banjamin de Madeleine et de moi qui pousse un immense soupir de soulagement. Durée de la négociation : une heure. Mais du bonheur à ce qui est obtenu, cela oui.
 
*Je voulais mettre les mots de Philippe de Jonckheere, bruts, sans commentaire, mais rien à faire. Parce que... et tant pis s'il se met en colère, je commence à avoir l'habitude de ses colères, et en plus elles sont plutôt saines, et belles, alors je vais plus me gêner pour les faire naître.


 
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mitoyenne
C'est la première - sauf ma propre mère bien sûr - des ex femmes de gendarmes de cette brigade, celle de mon enfance, à le lire, et à, indirectement - via ma propre mère bien sûr - m'en dire quelque chose.

Du Tiroir à cheveux.

Me dire les pleurs et les souvenirs. Et moi de me débattre avec le prétexte de la fiction et pourtant, être bousculée, d'entendre ce souvenir que je n'avais plus, et que je n'ai peut-être jamais eu.

Cette femme en lisant se souvenait des bruits de la cloison mitoyenne des appartements de fonction. Les bruits quand le petit se tapait la tête. On avait contraint son corps dans un corset de plâtre. Il tapait, tapait son front, son crâne, ça résonnait. La nuit surtout. Elle dit se souvenir de ça, s'en souvenir à la lecture du livre. Et pourtant, pourtant moi non, je ne me souvenais pas de ces échos de la cloison malmenée par la douleur du petit. Ou alors, pire, je ne l'entendais pas.

Elle dit aussi qu'elle a pleuré mais aimé se souvenir en lisant, comme si ça ravivait les souvenirs douloureux, oui, mais aussi, comme si ça leur donnait une existence, une raison, comme si ça l'aidait, comme si c'était "si vrai". Pleurer et aimer se souvenir d'avoir été à côté, si près. Moi qui pensais avoir pu mettre les choses un peu plus loin, par le mensonge de la fiction. Moi qui croyais m'être écartée. De ces coups contre nos murs communs. Les coups de la douleur de ce gosse, une douleur qui résonnait dans les murs fermés de la brigade.

Combien étions-nous à ne pas les entendre, à les taire, alors que c'étaient ces seuls mots?
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c'est l'été que l'on pense l'hiver
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"Du côté du soleil, la plainte des tronçonneuses dans la chair beurrée des sapins. Les oiseaux bondissent dans l'éclairage désordonné de la forêt. On les voit sans ailes. Corps libres dans les immobiles. S'abattant de loin en loin. Comme des poings serrés de plumes.

Comme si le vent protégeait les arbres des bûcherons ! Craquements. Une fibre, puis deux... L'arbre s'est assommé au sol. Dans un bruit sourd de nuque monumentale. Mes pieds dans la résonance. Puis le retour du grand reste. L'oiseau la terre. Les bûcherons couchent les arbres sous le vent."

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Retour au pré cette aile forestière"), Gallimard (mars 2005).

"Jean avait déjà commencé l'abattage, cédant à cette impatience du péril qu'il partageait avec Serge. Les arbres s'affalaient d'une hauteur folle dans un formidable froissement de branches. Alain se demandait si Jean se hâtait par plaisir ou pour en finir au plus vite avec ses scrupules devant le saccage entrepris. Il ne sentait plus ses doigts dans l'étau des gants croûtés de neige et de sciure. La stridence de la tronçonneuse s'obstinait à ses oreilles comme un écho de sonnerie toujours déçu."

Pascale Kramer, L'adieu au Nord, Mercure de France (septembre 2005).

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"Maintenant que je traverse le chemin de débardage, les sèves couchées, les moucherons qui volent dans une odeur de gasoil. Plus loin, dans la rumeur des grumes câblées qui se faufilent arrachant les sous-bois. J'entends l'engin forestier s'éloigner. c'est un débusquer, je reste sans adjectifs !"

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Une écriture debout avec les arbres !"), Gallimard (mars 2005).

"L'air piquant trimbalait l'odeur toute fraîche de la sève des arbres tronçonnés. Cédant à l'infatigable gourmandise qu'il éprouvait à se savoir ici chez lui, Jean l'emmena admirer le massacre accompli en un mois : plusieurs ares d'un inextricable imbroglio de troncs, de branches et de ronces d'où émergeait ici et là la plaie jaune des souches agglutinées de sciure gelée dont il émietta une grosse poignée entre ses doigts"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

Je croise les premiers grumiers, larges dans les virages, qui m’obligent à ralentir et lâchent leurs souffles costauds sur ces routes inconfortables et cicatricielles.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

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Il mimait, avec de larges gestes exagérés, comment mon père faisait rouler les grumes du haut du vallon jusqu’à la ferme (on l’appelait la ferme du fond bien avant la montée des eaux vous savez, parce que, voyez, elle est juste en plein dans le creux). J’ai compris qu’il ne m’avait pas reconnu. Je savourais cet accent, son accent, mon accent retrouvé, j’en aurais ouvert la bouche en grand. Le gober, le reprendre. Le tracteur vous comprenez il pouvait pas tirer les troncs jusqu’en bas, c’était pas commode, ça s’embourbait ma pauvre, alors il les déchargeait au bord du chemin en haut (il me montrait du chemin, je devançais son regard). Il les poussait, ça roulait avec un de ces vacarmes, vous imaginez ça. Je n’imaginais pas, non, je me souvenais. Je me souvenais des roulements énormes et graves des troncs nus, puis de l’aigu de la tronçonneuse qui résonnait, et des tas énormes de stères bâchés le long des murs. Mais je ne me rappelais pas avoir eu une hache ou un merlin en main, mais c’était ah oui c’était souvent dans la liste de mon frère, faire le bois. Découper, fendre, transporter, ranger.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

"Alain commença à fendre les bûches que Jean garderait pour lui. Il y avait une sorte de généreux plaisir à flanquer la hache dans le gras du bois et à forcer l'écartèlement des fibres"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

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Je sais je me place entre Bastard et Kramer, j'ai peur de rien, mais. Mais quand je parle de vraies rencontres (voir là-bas), de croisements lire/écrire, il s'agit de liens très forts. Les Adolescents troglodytes, je l'ai écrit dans la non-connaissance de ces auteurs, et entre cette écriture et la sortie du livre, il y a eu ces rencontres. Peut-être qu'une vie à l'écart nous rapproche, je ne sais pas, les montagnes, l'altitude solitaire, les bêtes si près (parce que y'a aussi Revaz, dans l'histoire...), ne pas avoir peur du merlin, et savoir que c'est l'été qu'il faut penser l'hiver.

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c'est comme dans un film
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Il y a un peu plus de 15 ans, j'étais étudiante en cinéma à l'université Paul Valéry de Montpellier. Au milieu de ça, de mes études, cette naissance improvisée dans ma jeunesse. Je croyais vouloir faire des études de cinéma, puis écrire sur le cinéma, tout en m'occupant de ce petit têtard étrange. J'ai compris que je voulais surtout écrire, et j'ai finalement laissé tomber ma thèse sur le "cinéma cicatriciel", pour écrire encore sur des cicatrices, de façon plus libre. Un récit, puis des romans.


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Il y a quelques jours nous venons d'apprendre que mon grand têtard est pris en section cinéma/audio-visuel au lycée. C'est un peu loin de chez nous, mais il voulait faire "ça" et c'est tellement près de notre histoire. Je vois bien que ce qui l'intéresse dans le cinéma, c'est l'écriture, et d'ailleurs il gribouille partout. Ecrire, dessiner, créer, de mère en fils.

Allez, Sylvère, je te souhaite de belles et longues études en cinéma, et je suis très fière de toi.

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urgence
Pas de catégorie pour cette note, c'est une note à part.

Juste dire, écrire que voilà, il y a urgence.

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Par chez nous, certaines oeuvres caritatives nous demandent de provisoirement "cacher" des enfants. Nous sommes effrayés de ce retour en arrière, de cette mémoire revenant si vite.

Il y a urgence

Ici :

http://solidairessanspapiers86.hautetfort.com/

et là :

http://www.contreimmigrationjetable.org/

Partout en France.
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Ma Lorie m'envoie chez P.O.L.

Cette mariée qui tourne le dos à son mariage, c'est Mallaury.

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Elle a été la prof de français de mon fils aîné en sixième et troisième et à cette "occasion" nous sommes devenues amies.

Elle m'a lue et aidée pour mon troisième texte, Le Tiroir à cheveux (voir cet échange de mail).

Le texte fini, il est refusé par mes deux éditeurs précédents.

Découragée, j'imprime le texte en plusieurs exemplaires pour recommencer mes envois postaux.

Mallaury me demande : à qui tu envoies ? Tu envoies à P.O.L. ? Je la regarde en souriant. Qu'elle est naïve, ma Lorie, c'est pas l'éditeur de Novarina and co qui va me publier un texte déjà refusé par mes éditeurs. Non, ma naïve, j'envoie pas à P.O.L., j'envoie qu'à des petits éditeurs. Mais pourquoi, t'as vu ce qu'ils publient chez P.O.L. ? Mallaury, arrête, j'ai envoyé à P.O.L. l'ancêtre de mon premier texte, et j'ai eu ma lettre type de refus et... Mais, etc.
OK, ok, j'envoie à P.O.L., j'aurais une deuxième lettre type, si ça peut te faire plaisir, mais c'est des timbres pour rien.

Les "petits" éditeurs m'ont tous refusée, sauf Joca Séria. Beaucoup ne m'ont jamais répondu.

Paul Otchakovski-Laurens m'a appelée quelques jours après cette "dispute" avec ma Lorie.

Quand il a accepté mon quatrième texte il m'a dit : "je suis fier d'être le premier éditeur à vous publier deux fois de suite".




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Ma Lorie, échange de mails sur Le Tiroir à cheveux

Je viens de provisoirement finir mon texte, et donc merci encore, car
tu m'as beaucoup aidée. Par exemple, ton problème avec tes cheveux*, je
te l'ai piqué. J'ai précisé de ci de là que les enfants ont tous les
deux les cheveux longs (et mal peignés). La fille ne veut pas les
couper (à la fin elle voudrait s'y résoudre, mais ne peux pas), sa mère
lui fait remarquer que quand même, ça fait caraque (gitan). La fille
est donc définitivement du côté des gitans (haïs comme tu le sais par
les gendarmes).
A bientôt.
Emmanuelle.

(réponse de Mallaury) quand j'avais 13 ans j'ai écrit une nouvelle sur les nazis et les tziganes.
ça s'ouvrait ur la tonte de femmes tziganes à l'entrée dans le camps de
concentration. La scène était particulièrement violente et l'épouse opaline
d'un SS y assistait, elle était enceinte. Elle fit un caprice pour avoir un
coussin fait avec ces cheveux là, trop bonds, trop sensuels à côté de sa
fadeur.
Ensuite elle ne parvenait plus à dormir. ses nuits n'étaient plus que
cauchemars. Son mari couvait la femme pour espérer voir naître l'enfant.
Il naquit brun et le teint mat, les yeux noir et pointa sur eux un index
accusateur. Il abandonna l'enfant et la femme, au camps.

Voilà, j'ai perdu cette nouvelle, qui mériterait peut-être d'être réécrite,
mais les caraques m'y font penser, on dit les caraques, chez nous aussi. Le
"ça fait caraque" est le maître mot de ma pieds-noirs de grand-mère quend
elle va chez mes parents.

(...)

A très bientôt

* elle ne peut pas les couper, elle a une angoisse très forte qu'on les lui coupe.
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les chaussures de Martine Laval et le doryphore de mon beau-frère
L'an dernier, en décembre, j'ai rencontré Martine Laval pour le Tiroir à cheveux. J'étais assez émue, Martine Laval, c'est elle qui m'a fait découvrir des tas d'auteurs, notamment les américains Elwood Reid*, Harry Crews (je suis prof, donc abonnée à Télérama).

Cette rencontre était riche, très intéressante, on a discuté du livre bien sûr, mais aussi d'autres choses. C'est une drôle de femme, plutôt atypique comme journaliste. Et engagée.

Dans son article, elle a parlé de mes chaussures de marche ("Elle est toute menue, porte les cheveux en liberté et l’habit des montagnards – anorak, gros pull, chaussures de marche").

Mais voilà, sur la photo qui accompagne l'article, une belle photo de Jérôme Bonnet, j'ai mes autres chaussures, les bleues (et oui, je n'ai que deux paires de chaussures, plus des bottes, de pluie et de neige).

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© Jérôme Bonnet pour Télérama

C'est que je ne connaissais pas le contenu de l'article, moi, quand Monsieur Bonnet est venu, 15 jours après ma rencontre avec Martine Laval, faire la photo.

J'ai eu des tas de coups de fil : super l'article de Télérama, mais t'as pas des chaussures de marche, n'importe quoi la journaliste.

Et bien, non, c'est pas de sa faute. Quand je l'ai rencontrée, je les avais bien aux pieds mes chaussures de marche. Alors depuis je les appelle comme ça : mes chaussures "Martine Laval". J'espère que ça ne va pas l'embêter.

À Arras, aux Colères du Présent, il faisait plutôt frais le 1er mai. Les auteurs parisiens se gelaient les pieds dans leurs petits chaussures, et moi j'étais très bien dans mes chaudes chaussures Martine Laval tout cuir.

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Et puis je trouve que la marche se mélange bien avec l'écriture. Ecrire et marcher, marcher c'est écrire.

Mais ce n'est pas tout.

Ces deux paires de chaussures, les bleues comme les "Laval", sont marquées par mon beau-frère.
La marque de mon beau-frère est un doryphore, que vous pouvez aussi entre apercevoir dans certains lieux publics parisiens et certains coins vertacos...

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Sylvain ne répond pas. Il ramène sa capuche, la retourne magistralement en déclarant sentencieusement à propos de couple… Il tire le tissus pour que tout le monde puisse voir, sous le revers de sa capuche, le doryphore près de l’étiquette, tout près de sa nuque.
Il se lève et sort de la poche de son jean un genre d’applicateur. Il nettoie la paroi transparente avec le revers de sa manche et le colle dessus. Il appuie. J’ai encore pas marqué mon territoire ici. Il le détache et la bêbête est sur la vitre. Et ici non plus. Il la tatoue sur la table. Mais ici c’est déjà fait (il passe sa main sous les cheveux de Nadège, qui essaie, mais très peu, de se dégager). Les autres peuvent toujours poser leurs mains, j’ai mis mon sceau avant (elle approuve sans sourire, avec un regard fermé, résigné, mais irréductiblement et sérieusement complice).
(...)

Au doryphore de Jean-Philippe
(...)
Hiver 2005-2006

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

* Et bien sûr il fallait s'y attendre, le jour même où je finis cette note pour la publier, je lis sur Télérama.fr que Martine vient de faire une grande rando dans toute la France pour accompagner des auteurs US en vadrouille, dont Elwood Reid (!) mais je lui demande : avec quelles chaussures aux pieds ?

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Volume

Orion Scohy n'est pas un pseudo, c'est son vrai nom. Il a écrit un drôle de Volume, injustement boudé par la critique. Sauf que voilà, dès qu'on sort de Paris, y'a des gens un peu plus cultivés : dans le Gers par exemple. Et des gens cultivés à la campagne c'est pas forcément des vieux enfermés dans une masure avec plein de livres poussiéreux. Volume a décroché le prix du jeune mousquetaire décerné justement par des jeunes : des lycéens.

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Dans le livre d'Orion, sorte d'ovni protéiforme, y'a des tas de références littéraires, c'est un gros livre, exigeant et très tordant. Les jeunes de la campagne n'ont pas peur de lire des livres atypiques, avec plein de pages, une structure particulière, des jeux de langage, une typographie surréaliste et dont la très étrange table des matières est au milieu ("un compas et une règle peuvent s'avérer utiles", est-il écrit en dessous de la dite table...).

Dans ce Volume fait de morceaux de livres, y'a aussi un opéra-baise, très osé, très coloré et parfumé... (j'ai traité Orion de satyre, quand j'ai su qu'il était lu par des jeunes). Dans certains endroits, les parents d'élèves auraient crié au scandale. Pas dans le Gers, où l'on sait lire au trentième degré, où l'on connaît les différents niveaux de langage, où l'on est beaucoup plus ouvert qu'il n'y paraît aux gens des villes.

Alors bravo à Orion, bravo aux jeunes des champs, et si vous voulez lire de la littérature E.T., marrante, loufoque, étonnante, "désorientante" osez faire comme ces jeunes, lisez ce Volume.

Allez, pour le plaisir, un morceau de Volume, mon passage préféré, p. 70 :

(...) Du moins, ce qui aurait dû être un viol suivi d'un découpage méthodique. J'étais tellement préoccupé par cette histoire de méthode dans le découpage, tellement obsédé par la peur de ne pas parvenir à agir assez froidement, que j'en ai oublié l'étape du viol. J'avais concentré tous mes efforts sur la façon de dissoudre proprement la continuité du jeune corps naguère élastique et suffisant.
Dans le but de corriger mon omission, j'abusais des restes après l'équarrissage, en m'acharnant sur un éparpillement aussi sanglant qu'absurde de segments humains qui me glissaient des doigts sans arrêt.
C'est en faisant coulisser le plus frénétiquement possible ce qui restait du bassin tronçonné sur l'axe de mon membre tant bien que mal érigé (et ce, malgré l'épouvantable béance du vagin) qu'il m'apparut clairement que je n'étais pas en train de suivre mon inclination naturelle.


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multipare


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Etre mère on se doutait que c’était le début de l’interminable, mais aucune d’entre nous n’avait imaginé combien elle aimerait ça, comment elle pourrait se complaire dans ce temps dépressif, langoureux, de ses gestes à ses enfants. Les voir grandir imperceptiblement. Ne pas les voir grandir.

Le présent nous prend, le silence est aussi fort que les cris, et le silence nous garde. On se tait devant la désespérance quotidienne des beautés, des chagrins, au coucher, au lever. Cette belle et grande amertume au moment de border les enfants. Il ne reste rien que ces journées, ces nuits : il ne reste rien que le temps.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002


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La Rajasse (coïncidences encore et encore)
La Rajasse est sur le suc de Cherchemuse, et de l'autre côté, on voit le lac, le lac volcanique de ma jeunesse (voir "le ventre du lac")

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La Rajasse, c'est le domaine de Morin. Christian de son prénom, mais tout le monde l'appelle "Morin".
La Rajasse, c'est une ferme juste en face de chez nous. Des voisins quoi.

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Des voisins, oui, mais pas n'importe lesquels : nous habitions jusqu'à l'été dernier dans le Vercors Sud, et le Vercors Sud a été le domaine de Morin. Un jour, lassé des ragots et des "embêtements" liés aux loups*, il a vendu sa "propriété" pour venir s'installer à La Rajasse.
Cette"propriété" qu'il possédait dans le Vercors, deux bâtisses où il élevait chiens de traîneaux plus ou moins sauvages et accueillait des jeunes, a été rachetée par un couple tout "comme il faut", qui nous en ont loué une partie...

À notre tour "embêtés" par les gens tout "comme il faut", et lassés de ne pouvoir acheter une maison sur le Vercors à cause de la pression immobilière liée aux résidences secondaires (y'a une clopine à moi qui
en parle bien), nous avons cherché une bicoque à retaper sur un autre plateau, le plateau ardéchois, financièrement plus accessible et surtout moins accessible par la route, plus austère, plus sauvage.

Nous avons fait le tour des gens, et voilà qu'en face, donc, les Morin nous accueillent...

J'avais passé plus de 7 ans dans le Vercors, entendu des tas de choses sur cet homme, beaucoup de rumeurs, mêlées de crainte et d'admiration, sans jamais l'avoir rencontré, et le hasard (le hasard vraiment ?) nous fait le suivre, nous installer juste en face.

Je dois dire ce qui est, quand même, ce type a du sang sur les mains...

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Mais, contrairement à ce qui a été écrit dans certains journaux, il n'a pas tué le gérant du zoo où ont été parqués ses loups*. Non, quand il a du sang plein les mains jusqu'aux coudes, c'est juste quand il fait le cochon,

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quand il fait sa tête de lard, quoi, parce qu'il a du caractère, Morin, faut pas le chercher...

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* Pour toute l'histoire des loups voir
l'interview de Morin en personne, "au loup", et "l'écrivain, l'enfant et le loup dans le Vercors".


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de mère en fille


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Elle se met souvent tout contre moi, la tête dans mon ventre, et puis elle s’écarte un peu pour me regarder. On a toutes les deux ce bleu aux yeux, celui des amoureux et des ecchymoses, on a cette même couleur des blessures revenues : des tâches violettes qui remontent à la surface de la peau. Toujours après les coups. Nous deux on est cet ensemble de champs douloureux aux cuisses, au ventre, on est la terre qui a mal de partout, on est cette terre foulée de tous, parcourue de veines poreuses.
Son père s’est traîné sur moi. Il m’a prise en me prenant pour un rivage, son souvenir se traîne encore et ses courants pulsent leurs sordides humeurs entre mes jambes. J’espère que ma fille ne saura jamais par où la douleur file de vague en vague. J’espère que ses lèvres ne seront pas malouvertes.
Dans mes rêves, mes cauchemars, des hommes marchent sur le sable, ils fouillent dedans. Je ris de le voir couler entre leurs doigts. Ils ont foulé chaque jour le sable humide, ils n’ont jamais vu les cicatrices en forme de coquillages écrasés, ces trésors fragiles, nos étoiles violacées. Ils n’ont jamais vu les frontières, ils n’ont jamais su s’arrêter. Ils ont craché des salives urticantes, et se sont retirés en nous traitant de putes. Et ma fille sera une pute aussi, puisque c’est une fille de pute, c’est ce que son père me disait. D’une certaine façon, ce n’est pas faux, parce qu’on a toutes les deux cette indépendance stupéfiante et dédaigneuse des putains. Il fallait bien que ressorte ce maigre venin que l’esprit de ces hommes avait éjaculé en prétextant la beauté des marées.
Elle est belle la mer espérée. Nous le sable, nous le bord de mer, on garde sa bave au chaud. Nous le creux des vagues on retient tous les poisons de ces hommes quand leurs mouvements s’arrêtent et que nos lèvres sont closes. On observe la marée descendre, et remonter en nous. Ce qui se couche alors sous nos hanches est le plus beau des poissons, nacré de salive amniotique, scintillant et sucré.
Moi j’ai des poissons rouges et bleus, aux yeux fermés par des souffrances qui se câlinent. On se serre avec nos douleurs comme ça, mes enfants et moi. Les douleurs les unes contre les autres, pour avoir un peu moins mal.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002

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le fond du lac (suite)
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De mon grand-père j'ai gardé le nom, mon nom, pour ma vie de tous les jours*. C'est le nom d'un village près du lac recouvrant ces vignes, ce lac né le même mois que moi (voir "le fond du lac).
Ce nom signifie quelque chose comme une roche dure, sèche, mais qui garde la trace de l'eau. Une roche où l'eau est passée, il y a longtemps.
Cela correspond à l'inverse de l'avènement de ce lac...

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Aujourd'hui j'habite près d'un lac naturel et volcanique (voir "le ventre du lac", note du 2 juin) et plus près encore (juste au-dessus) d'une retenue artificielle reliée à ce lac naturel.

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Il arrive que cette retenue soit vidée, mon fils aîné y est descendu, dans la vase poudreuse, un jour de grosse colère.
Il a mis à peine deux heures pour dévaler la montagne, gagner le fond du lac, puis remonter. Il était vidé de vitesse et de fatigue. Il est revenu fier et souriant de son escapade, il est revenu très sale et calmé.

Il porte à la fois mon nom et mon nom d'écrivain, liés par un trait d'union (une exception législative particulière à l'ancienne loi sur le nom de famille).

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Il y avait plusieurs promeneurs, des randonneurs, des pêcheurs à la rivière retrouvée, dont les berges étaient ensablées. Du sable poussiéreux, même pas de vase, à la place de notre tourbière, à la place de notre boue gonflée d’odeurs. Je me suis assise sur ce qui restait des arbres à terre et j’ai respiré de mémoire, mais ça ne me revenait pas vraiment. Ce qui me remontait c’était juste une image, comme une photo, celle de nos bottes de pluie ou de neige laissées en vrac dans l’entrée de la maison. Peut-être aussi des sensations, les sensations glissantes de nos pas téméraires et infatigables dans la tourbe, la neige, les prés gorgés. Aux stagnations de la rivière, il y avait parfois une couche de glace pleine de feuilles et d ‘ombres, je marchais dedans pour entendre fondre le bruit déchiré et faire hausser jusque dans mes mollets la caresse la boue froissée sous mes bottes.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

* je ferai bientôt une note sur les noms de "jeunes filles" car en la matière le code civil est en France très peu respecté.



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c'est comme si je me cachais pour peindre
le dos c'est lâche parce que c'est toujours derrière

et puis je me dis

c'est dur de s'installer dans son propre dos, j'ai un dos tout le monde a un dos mais c'est dur de s'adosser dedans...

on a toujours l'impression de ne pas avoir la colonne au centre mais dans le dos...

mais ces dos-là c'est un petit repli sur moi-même et dans le creux du cadre... de mon dos je suis une autre et le peindre c'est peut-être faire voir ça ... vues extérieures sur moi-même... je suis un peu mon propre objet dos dans ces images.. peintes.


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le premier montre quelque chose d'intérieur

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le deuxième est caressé par une lumière.. il fait un "heu"... le dos rond comme un timide repli dont on ne voit que la voûte. C'est comme si je me cachais pour peindre, et dans cette cachotterie je montre ma face la plus vulnérable...


peintures et texte de
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le webmaster
Ceux parmi vous qui arrivent depuis "les sardines" en ont entendu parler. Oui, non, je ne m'occupe pas des détails purement techniques de ce site. J'ai un webmaster.

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Ce webmaster est aussi mon mari. C'est pour ça, les sardines.

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Il fait aussi tout un tas d'autres choses.

C'est un patron, un patron de gauche (très de gauche, pas du milieu), un écolo, il est traducteur spécialisé (informatique) de l'anglais (US) vers le français. Architecte de formation, mais bricoleur, et président de l' "Association des parents d'élèves pour l'Ecole Publique des Hauts Plateaux Ardéchois"

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Il s'occupe aussi de nos trois enfants, retape notre maison, débite et fend le bois, ce qui n'est pas une mince affaire (nous nous chauffons intégralement au bois, nous chauffons au bois aussi l'eau, et nous sommes à 1200 mètres d'altitude).

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L'été où nous nous sommes rencontrés, il a abattu un arbre en feu et j'ai su que je l'épouserai, qu'il deviendrai le père de mes deux enfants, qu'on en aurait peut-être d'autres.

Mon frère s’est saoulé avec les autres. On a laissé mourir lentement les braises. Ils ont décidé de dormir là, dans des duvets, à la lisière changeante de l’eau. J’ai plaisanté sur leurs corps noyés de demain. Je suis monté dans notre chambre en regardant sans penser des lignes de fourmis sortir d’une fente de l’arbre mort. Je me sentais un peu mal à l’aise dans les draps, et soudain j’ai compris ce que faisaient ces fourmis. J’ai couru au-dehors.
Les flammes étaient déjà hautes devant le visage de papa, immobile en pyjama, désarmé. Je l’ai renvoyé au lit et je suis allé réveiller Axel. Il s’est dégagé brutalement du sac de couchage. Il a mis son jean en titubant et m’a crié d’aller chercher une hache, vite. Les autres ont bougé, ils étaient vraiment trop saouls, inutiles et entortillés. Ils se sont rendormis.
J’avais déjà déroulé un tuyau, mais je ne réussissais qu’à mouiller les flammes dans lesquelles je voyais le visage de papa faire non à la fenêtre de sa chambre. Du tuyau ne coulait qu’un mince jet ridicule, le captage était presque à sec. J’ai voulu transporter l’eau du lac avec des seaux. Mon frère, qui essayait de donner des coups de pieds au tronc, a crié à nouveau, arrête de faire le con, et rapporte-moi cette putain de hache.
Il a entrepris l’arbre à la cognée et j’ai reçu son corps en pleine figure.
Je voyais les épaules de mon frère bousculées par l’effort, ses bras tendus. Je voyais des flammelles au bout de ses mains fermées sur la hache prise dans la chair calcinée de l’écorce. J’entendais le grincement des fibres fumantes écartelées. Je voyais son torse sombre et rougeoyant, où crépitait la sueur et se perdaient des étincelles.
Et puis, tout s’est arrêté, et, d’un coup de pied fatigué, mon frère a fait rouler le tronc encore chaud dans la terre jusqu’à l’eau. Les éclaboussures et le bruit grésillant ont réveillé les autres, trempés, surpris, presque en colère.


Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

Plus tard j'ai décidé de changer de pseudo et de prendre son nom : pas dans ma vie de tous les jours, puisque j'ai déjà un nom pour ça (mon nom, le nom de mes parents), mais dans ma vie d'écrivain. Son nom pour écrire.

Sinon, il a plein de défauts mais je me les garde...

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le ventre du lac

Il y aura 20 ans tout juste cet été, j'ai campé au bord de ce lac.

Un lac naturel, volcanique et profond (le premier lac du livre, voir ici).

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J'avais presque 17 ans. J'étais venue en stop avec un copain.

Quand il m'a pénétrée près du lac ça m'a fait très froid. Pas mal, non, froid. J'avais froid dans le ventre, j'étais gelée.

Depuis l'été dernier j'habite près de ce lac, je peux y venir même l'hiver. L'hiver il ressemble à mes sensations de jeune fille.

J'ai moins froid maintenant, pourtant.

Ce garçon je le savais était mal dans son corps. Ce garçon était une fille dans un corps de garçon. C'était mal ajusté.

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L'été dernier, au moment où mon mari, mes enfants et moi emménageons près de ce lac, cette fille me contacte à nouveau. Elle vient elle aussi de déménager et j'apprends qu'elle a habité 7 ans près de chez moi, ailleurs (là d'où on vient...) et qu'elle a une fille du même prénom que la mienne*.

Ma fille, elle, vient de me provoquer l'écriture d'un nouveau roman, à cause d'un petit poème que j'ai trouvé dans un de ses cahiers. Dans ce roman la narratrice est conductrice de navette scolaire. La seule que je connais, de conductrice, porte le même prénom que cette fille de mon adolescence (une féminisation de son ancien prénom), mon ex-petit copain*. Je me dis tiens, quand même.

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Elle m'explique qu'elle a enfin "transité", elle va bientôt subir sa dernière opération (une vaginoplastie) et me demande si je peux témoigner auprès du tribunal en vue d'obtenir un changement d'identité sexuelle sur ses papiers officiels.
Témoigner de son adolescence perturbée par son corps inadéquat, puisque j'étais là.


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Je lui réponds : bien sûr que je peux témoigner, je dois témoigner, j'étais si bien placée pour savoir. Tu sais où je suis maintenant ? Je suis tout à côté du ventre du lac.

Alors ça fait quoi d'avoir un vagin ? Est-ce que tu as eu froid ?

Naturellement, elle entre dans mon livre.

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Elle me parle de ses difficultés, de son "froid" avec son frère.

Dans mon histoire, la conductrice de navette, au même prénom qu'elle, a un frère travailleur sur corde. Le cordiste que je connais et que j'interroge pour l'occasion a le même prénom que le frère de cette fille en transition (et que mon mari)*. Je me dis, tiens, encore.

Naturellement, son frère et le frère de la narratrice se confondent, son frère entre dans le livre à son tour. Il s'approche du lac.

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Il n'y a pas 15 jours elle m'écrit que son frère - qui habite loin (en région parisienne) - vient de découvrir le lac, puisqu'il aide un de ses amis à retaper une maison pas loin... et pas loin, ça veut dire vers chez nous.

Heureusement le livre est fini.

L'été arrive, malgré la neige tombée il y a trois jours. Je laisse le lac reprendre ses gosses.
Au bord ma fille - ma chair, mon ventre - ira manger des glaces et réfléchir à d'autres poèmes.

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* dans le livre, les prénoms ont été changés
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