Extrait de Egoutté*, nouvelle, Sylvère S-P, 2007.
Ces "égouttements" me troublent, pas seulement parce que je suis très fière de lire de telles choses écrites par mon rejeton, mais aussi parce que mon premier récit publié, que je voulais appeler À goutte, tournait autour de ce thème, via mes rapports à l'enfantement, dont Sylvère a fondé tout de même la première expérience...
photos Cécile
Mon sein pris par les lèvres du bébé, mes jambes toutes tremblantes, mon corps me désobéissait. Mon fils posait sur mon bras l’empreinte de sa peau toute neuve et mouillée. Il se couchait sur la mienne, si chaud, contre ma fatigue infinie. J’essayais de maintenir mon sein à peu près propre sous mes doigts. Ses beaux cheveux collants contre mon torse tombaient jusqu’au bord de ses yeux. Ses yeux ne se fermaient pas. J’avais espéré qu’il rentre vite les gouttes sombres des iris sous ses paupières, parce qu’elles se bousculaient, à vouloir déjà tout voir, pauvres petites bulles opaques échouées près de moi, affolées d’avoir été hissées si vite et si mal hors de l’eau, pauvres pupilles montées jusqu’au monde, par où s’engouffrent si tôt les jours bruyants. Je m’inquiétais de son regard terrifié. Je voulais qu’enfin il ferme les paupières, pour qu’il n’ait plus peur, pour que je n’aie plus peur.
Je l’ai gardé contre moi.
(...)
Ma fille son eau elle la perd par la tête. Tout son crâne transpire, des petites gouttelettes poussent jusqu’au bout de son nez, parfois sous les sourcils. Les écailles de sueur se mêlent aux tâches de rousseur. Les cheveux de son frère, plus épais déjà, ont cette odeur châtaine des enfants qui grandissent, légèrement acide et ténébreuse, si difficile à définir. Les sueurs de mes enfants ont des couleurs que je reconnais : leurs odeurs sont dans mes pensées. Leurs cheveux mouillés s’embrouillent, parce qu’ils bougent sans arrêt, même en plein été. C’est étrange comme ça sent bon, les enfants fous. Cette odeur-là, celle de la sueur des peaux folles, m’enivre un peu. Mon fils et sa sœur se poursuivent dans la maison, je me penche sur leurs cheveux, je reconnais le parfum de la souffrance. Il est délicatement opiniâtre.
C’est un parfum presque indéfinissable, et trop familier d’ailleurs pour avoir besoin d’être défini.
Je ne sais plus très bien si mes enfants se ressemblent. Ma vie a si peu de cohérence. A travers les rousseurs salées de ma fille, je retrouve les tendances brunes un peu âcres de son frère, celles qui bordent ses yeux sombres. Ses yeux de temps en temps versent un regard de noisette brûlée, il me parle avec sous les paupières ce mélange de cendres et de suc qui me rappelle les bois des châtaigniers où j’aimais croire à tout ce que me disait Joë.
Les enfants sont ma certitude, ma mémoire.
Ils jouent dans la maison.
Pour être chez moi, éditions du Rouergue, mars 2002.
*Il y a des parenthèses encadrant le "té" final : égout/té... mais mon logiciel, ça m'agace au plus haut point, me fourre des smiley à la place des parenthèses, et je déteste ces bidules.
Cet été, j'avais aidé au tri du bibliobus : cela consistait à pencher horizontalement les livres que le village allait garder pendant trois mois.
Une habituée m'a dit : je m'occupe des documents, tu fais les romans ? Ah oui, pas de problème !
Elle doute. N'oublie pas : les lecteurs veulent du terroir. Ah du terroir : et hop, un petit Jim Harrisson (terroir du Montana), et un H. Crews (Géorgie) et comme ça j'ai détourné tout ce qu'on me demandait....
Si, Mauvigner, c'est une histoire d'amour, si ça c'est une "saga", et ça c'est "lyrique", mais tu comprends pas, Pierres Senges il est Ardéchois ! si ça va plaire à vos lecteurs, Ah, Leslie Kaplan, c'est historique... et voilà notre village pourvu pour quelques semaines encore de LITTERATURE !
Dans cet enthousiasme, je sais même plus ce que j'ai sélectionné, mais je languis les vacances pour retrouver tout ça.
Le mec du bibliobus me regardait avec des grands yeux, persuadé que j'allais vite (ah oui, je savais ce que je voulais !) à cause de Paul qui faisait la foire*.
Déjà, il avait mis de côté ma "commande" : des livres encore vierges d'emprunt, des Savitzkaya, des Véronique Ovaldé, et plein d 'autres... C'est tout pour vous ? Et oui !
Je me retourne : oh vous avez le "matricule des anges" ? Lui : oui, et de m'expliquer ce que c'est une très bonne revue de littérature... Je souris : je connais, ah non, celui de septembre 2005, merci, je l'ai, je l'avais acheté. Le bibliothécaire fronce les sourcils "vous êtes sûre ?" Je n'ai pas osé lui répondre que oui, parce que dans celui-là, y a une super critique de mon livre...
Non, je n'ai pas honte d'avoir sorti du bus une bonne vingtaine de romans dont les lecteurs de ce village sont peu familiers. Non, je n'ai pas honte d'y avoir laissé les derniers Marc L. et autres Amélie.
Déjà, j' ai offert à la bibliothèque un livre de , que j'avais eu en double.
Et puis...
Ce n'est que justice : dans un autre petite bibliothèque de village, un ami me l'a raconté, ils avaient eu un don, quelqu'un s'était délesté de tous les Genet... TOUS ! Il s'était vite inscrit pour les lire. Il cherche : il y en avait un peu en "poésie", mais il en manquait. Il se retourne : beaucoup étaient classés en jardinage : Miracle de la Rose, Notre-Dame-des-Fleurs... et Des fois juste à cause de "Genêt" !
Alors si lire Genet c'est apprendre à faire des plates-bandes, moi je peux bien mettre les Harrisson et Elwood Reid et même Harrry Crews dans "romans de terroir". Je m'excuse, y' autant de vaches et d'odeurs de terre, et chez moi, ce n'est pas péjoratif, bien au contraire.
* (Il a fini par se blesser sur les marches en fer du bibliobus, on l'a entendu crier à la boulangerie, située de l'autre côté du village...)
Cet été j'y ai rencontré une dame, Sylvie, qui y habite depuis deux ans et qui y a monté avec une équipe de bénévoles une bibliothèque (ouverte deux après-midi par semaine) : il n'y en avait jamais eu à St Michel et ça marche du tonnerre de dieu (250 inscrits sur 700 habitants).
Nous avons longuement discuté et nous avons décidé d'animer un atelier d'écriture le 24 septembre, jour du vide grenier. La bibliothèque tenait un petit stand en face de l'église afin de vendre quelques livres histoire d'améliorer un peu le budget; nous y avions une table et de quoi écrire.
Jamais Pierric et moi n'avions fait cela en milieu rural (nous avons plus l'habitude des ateliers en milieu scolaire). Nous n'étions pas très surs de notre coup mais Sylvie, lui et moi avons tenté l'aventure.
La journée a été magnifique, les gens enthousiastes et heureux je crois d'écrire un peu, beaucoup et de voir leurs textes accrochés à la cordelette.
Plus de 40 textes ont été écrits par des enfants, leurs parents, les grands-parents, les passants...
Les propositions d'écriture (voir ci-dessous) qui une fois découpées se trouvaient dans les boîtes de couleur. Les gens piochaient au hasard, s'installaient, écrivaient, lisaient les textes déjà écrits...
J'étais fière de faire ça chez moi avec les gens de ce village que je connais depuis toujours.
Les bénévoles de la bibliothèque (qui sont pour la plupart des retraités) étaient aussi très contents je crois.
propositions d'écritures :
Pistes pour l'atelier du dimanche 24
Pistes pour l'atelier du dimanche 24
Je croyais l'avoir reconstituée, mais non, j'étais loin du compte. Maintenant, quand le temps se sera calmé, il me faudra aller chez Rémi, mon libraire, compléter ma bibliothèque. Ce sera long, mais je suis patiente quand il le faut.
Et chez Rémi, je vais pouvoir y aller avec une feuille imprimée, au lieu des bouts de papiers sur lesquels j'avais noté les morceaux de biblio trouvés ici, là, ou encore dans les livres que j'ai déjà.
Joël me soupçonne de vouloir faire de l'archéologie, c'est tout le contraire : j'aime bien me pencher sur des auteurs vivants. En ce moment, notamment grâce à Pascal, Mallaury, et des écrivains que je rencontre, je découvre plein de livres de gens vivants, et ça me change de Giono et Genet, de tous ces morts que j'aime. Parce que ça me permet d'écrire, de me sentir si bien entourée, entourée par des gens qui écrivent en même temps que moi.
PS : ça n'a rien à voir, mais si des smiley se glissent dans ce cahier, c'est à mon insu, je n'aime pas ces mimiques.
Hier mes élèves de 3ème y ont répondu.
Ils devaient, pour réaliser ensuite un travail sur la matière colorée, rechercher et ramener un poème, une chanson, ou un extrait de texte littéraire contenant le mot noir (ouvrez n'importe quel roman, vous trouverez très vite).
Il y a eu les Amstrong, les Noir c'est noir et autres Aigle Noir, le passage de la voile noire dans Tristan et Iseult, diverses choses inattendues.
Mais certains élèves avaient un gros problème...
Madame, j'ai pas pu trouver un texte, parce que y' avait l'orage ça a coupé. Coupé la lumière et pas de bougie ? Non, coupé internet, Madame, j'ai pas pu chercher, j'étais plus connecté. Certains se servaient de l'orage comme excuse au travail non fait, mais d'autres avaient l'air sincèrement désolés et dépités.
Je leur ai demandé s'ils savaient qu'on pouvait lire ailleurs que sur internet. Ils se sont exclamés : Ah oui ?! Et, où alors ?
Je leur ai parlé d'un objet usuel, qui est à peu près comme ça et comme ci, et qui s'appelle un livre. Ils m'ont alors répondu mais chez moi, Madame, je vous jure, y'en a pas.
Le pire, c'est que je crois que c'est vrai.
Mon webmaster, à qui je raconte bien sûr mes journées de boulot, m'a dit, mais tu sais, ils ont internet, mais s'ils ne l'avaient pas, ils n'auraient quand même pas de livres, à la maison, de toute façon.
Alors moi je dis, si par internet ils peuvent lire des textes, mêmes des bouts, des bouts de livre, les jours où il n'y a pas d'orage, et bien, c'est déjà pas si mal.
Je me suis souvenue de lui, parce que je cherchais une petite carte pour envoyer à un ami, et je suis tombée sur quelques cartes représentant un de ses tableaux.
Je ne me suis pas seulement souvenue de lui, mais de lui et de tout le reste : ses tableaux, son atelier, ses livres, ses disques, ses phrases. Ce type sait à peine écrire. Il a un CAP électricien datant d'avant 68. Il travaillait au dépôt sncf de Béziers, et peignait sous le pseudo "Anbart" : certains de ses tableaux sont magnifiques. Mes préférés, période "fond sombre", années 90, sont seulement dans ma mémoire, je ne peux pas les reproduire, mais à l'occasion, j'irais bien, faire des photos dans son atelier. Mais voilà, des années sont passées, je ne saurais comment l'aborder.
Il ne peint plus depuis qu'il est à la retraite, comme quoi, tout ce battage autour de la double vie des gens d'arts ou de lettres, pauvres artistes et écrivains contraints de gagner leur vie en exerçant toute sorte de boulot, c'est un peu n'importe quoi. On exerce surtout un autre boulot pour être dans la société, vivre, comme tout le monde, au lieu de se morfondre avec son stylo ou ses pinceaux, et cela nourrit notre oeuvre. Les autres, les collègues, ils nous énervent (et ce type, Anbart, comme il pouvait râler des fois...), mais je trouve que... ben que c'est plus sain, de se frotter aux autres, aux gens. Parce que nous, "gens de lettres et d 'art", on est des gens aussi... Enfin, c'est que je pense.
Anbart, qui ne savait pas écrire une phrase sans une dizaine de fautes, lisait énormément. Il lisait pour peindre.
J'étais jeune maman, étudiante, j'avais 21 ans. Il m'a fait découvrir Soulages, Alenchinsky, Joan Mitchell, mais aussi Saint-John Perse, Michaux, Joë Bousquet... je m'en mettais plein les yeux.