des pinceaux dans les tiroirs de nos salles de bain
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Hier dans son bain*, le petit dernier (celui qui a les cheveux jusqu'en bas du dos) voulait absolument de "la peinture, là" ! Il m'a fallu un moment pour comprendre qu'il voulait jouer avec le blaireau du grand, qui pour le petit était un gros pinceau.

En novembre mon libraire, qui m'avait invitée pour Le Tiroir à cheveux, avait sorti ses plus beaux tiroirs pour présenter mes livres, il avait aussi mis des livres de peinture et des pinceaux.

Je croyais que c'était à cause de mon travail (je suis prof d'arts plastiques), mais non, le hasard, a-t-il prétendu.

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Ma , celle de la photo du site, celle aussi du Campement urbain, ma Cécile concentre presque tout son travail dans la salle de bain, elle fait ses photos et ses peintures. C'est dans sa salle de bain, bien sûr, que l'on travaille ensemble. C'est dans sa baignoire qu'elle m'a prise en train de me laver : cette photo où l'on ne voit (presque) que mon épaule et mes cheveux mouillés, cette photo de fond du site...

Cheveux, poils et pinceaux.

Peintures et corps dans nos salles de bains. Ecriture du quotidien. Et cette angoisse plus forte que celle de la représentation, plus forte que celle d'écrire, si présente dans le Le Tiroir à cheveux.

(....) laisse-moi tranquille (et je t’interdis de toucher à ses cheveux).

Une drôle d'impression, alors, quand je lis ça, hier, dans le bloc-note du désordre :

Le chemin qu’il faut parfois parcourir pour atteindre une aussi modeste distance. Aujourd’hui la séance avec l’éducateur de Nathan avait pour but d’amener Nathan à bien vouloir se laisser couper les cheveux qu’il a fort épais et qui vont lui tenir chaud cet été, c’est certain, au point de le rendre parfois irritable. Nathan, comme la plupart des enfants autistes, nous assure Benjamin, l’éducateur, a horreur qu’on lui touche les cheveux, qu’on les lui lave — c’est toujours moi qui les lui lave, une fois toutes les deux semaines, parce qu’Anne n’en a pas la force physique, et chaque fois que je le fais, je ressors de la salle de bain à la fois épuisé mais aussi trempé de la tête aux pieds — et il déteste tout particulièrement qu’on les lui coupe.

Première étape : on propose à Nathan de lui couper les cheveux. Refus catégorique.

Deuxième étape : on propose à Nathan qu’il me coupe les cheveux, il flaire un piège et c’est assez long pour le convaincre de venir me passer la tondeuse dans les cheveux.

Troisième étape : Nathan me coupe les cheveux. C’est long, il me les tire beaucoup, je ne dois surtout pas lui laisser penser que c’est une opération douloureuse. J’ai une coupe punk. Je suis très content.

Quatrième étape : On propose à nouveau à Nathan de lui couper les cheveux. Refus on ne peut plus catégorique.

Cinquième étape : On se coupe tous une mèche de cheveux. Anne, Benjamin, Madeleine et on en coupe même une mèche à Adèle qui rigole.

Sixième étape : on propose à Nathan de lui couper juste une mèche. Refus catégorique

Septième étape : je coupe une mèche de cheveux à Madeleine et j’en fais un pinceau avec un élastique et un crayon à papier. A l’aide de ce pinceau très rudimentaire, je dessine un
poisson rouge — Nathan adore les poissons — sur une feuille.

Huitième étape : je propose à Nathan qu’il fasse, lui, un dessin avec le pinceau artisanal aux cheveux de Madeleine. Il est d’accord et il est très content.

Neuvième étape : je demande à Nathan s’il aimerait bien que je lui fasse un pinceau avec ses cheveux à lui. Je m’emmêle un peu les pinceaux dans mes explications, réaction terrorisée de Nathan.

Dixième étape : je montre à Nathan que je peux me servir des cheveux de Madeleine directement depuis sa tête, qu’ils sont assez longs pour être trempés dans le pot d’eau puis dans de la peinture
rouge et que du coup je peux lui faire deux gros cercles rouges sur les joues comme si je le maquillais. Coopération admirable de Madeleine qui se penche dans tous les sens pour me permettre de maquiller son frère à l’aide de ses cheveux à elle que je trempe dans de la gouache carmin, elle fait la moue parce qu’elle devra se laver les cheveux ce soir, mais elle trouve que j’ai des idées bizarres et elle aime bien quand j’ai des idées bizarres.

Onzième étape : je montre à Nathan dans un miroir la tête que je lui ai faite avec les cheveux de Madeleine.

Douzième étape : je montre à Nathan que ses cheveux à lui sont trop courts et que je ne parviens pas à les tremper dans le pot d’eau, je fais très attention à ne pas tirer trop fort.

Treizième étape : je tends la paire de ciseaux à Nathan, qui se coupe gaillardement les cheveux en tous sens sous un tonnerre d’applaudissements de la part d’Anne de Banjamin de Madeleine et de moi qui pousse un immense soupir de soulagement. Durée de la négociation : une heure. Mais du bonheur à ce qui est obtenu, cela oui.
 
*Je voulais mettre les mots de Philippe de Jonckheere, bruts, sans commentaire, mais rien à faire. Parce que... et tant pis s'il se met en colère, je commence à avoir l'habitude de ses colères, et en plus elles sont plutôt saines, et belles, alors je vais plus me gêner pour les faire naître.


 
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