c'est l'été que l'on pense l'hiver
DSC00423

"Du côté du soleil, la plainte des tronçonneuses dans la chair beurrée des sapins. Les oiseaux bondissent dans l'éclairage désordonné de la forêt. On les voit sans ailes. Corps libres dans les immobiles. S'abattant de loin en loin. Comme des poings serrés de plumes.

Comme si le vent protégeait les arbres des bûcherons ! Craquements. Une fibre, puis deux... L'arbre s'est assommé au sol. Dans un bruit sourd de nuque monumentale. Mes pieds dans la résonance. Puis le retour du grand reste. L'oiseau la terre. Les bûcherons couchent les arbres sous le vent."

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Retour au pré cette aile forestière"), Gallimard (mars 2005).

"Jean avait déjà commencé l'abattage, cédant à cette impatience du péril qu'il partageait avec Serge. Les arbres s'affalaient d'une hauteur folle dans un formidable froissement de branches. Alain se demandait si Jean se hâtait par plaisir ou pour en finir au plus vite avec ses scrupules devant le saccage entrepris. Il ne sentait plus ses doigts dans l'étau des gants croûtés de neige et de sciure. La stridence de la tronçonneuse s'obstinait à ses oreilles comme un écho de sonnerie toujours déçu."

Pascale Kramer, L'adieu au Nord, Mercure de France (septembre 2005).

DSC00111

"Maintenant que je traverse le chemin de débardage, les sèves couchées, les moucherons qui volent dans une odeur de gasoil. Plus loin, dans la rumeur des grumes câblées qui se faufilent arrachant les sous-bois. J'entends l'engin forestier s'éloigner. c'est un débusquer, je reste sans adjectifs !"

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Une écriture debout avec les arbres !"), Gallimard (mars 2005).

"L'air piquant trimbalait l'odeur toute fraîche de la sève des arbres tronçonnés. Cédant à l'infatigable gourmandise qu'il éprouvait à se savoir ici chez lui, Jean l'emmena admirer le massacre accompli en un mois : plusieurs ares d'un inextricable imbroglio de troncs, de branches et de ronces d'où émergeait ici et là la plaie jaune des souches agglutinées de sciure gelée dont il émietta une grosse poignée entre ses doigts"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

Je croise les premiers grumiers, larges dans les virages, qui m’obligent à ralentir et lâchent leurs souffles costauds sur ces routes inconfortables et cicatricielles.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

DSC00419

Il mimait, avec de larges gestes exagérés, comment mon père faisait rouler les grumes du haut du vallon jusqu’à la ferme (on l’appelait la ferme du fond bien avant la montée des eaux vous savez, parce que, voyez, elle est juste en plein dans le creux). J’ai compris qu’il ne m’avait pas reconnu. Je savourais cet accent, son accent, mon accent retrouvé, j’en aurais ouvert la bouche en grand. Le gober, le reprendre. Le tracteur vous comprenez il pouvait pas tirer les troncs jusqu’en bas, c’était pas commode, ça s’embourbait ma pauvre, alors il les déchargeait au bord du chemin en haut (il me montrait du chemin, je devançais son regard). Il les poussait, ça roulait avec un de ces vacarmes, vous imaginez ça. Je n’imaginais pas, non, je me souvenais. Je me souvenais des roulements énormes et graves des troncs nus, puis de l’aigu de la tronçonneuse qui résonnait, et des tas énormes de stères bâchés le long des murs. Mais je ne me rappelais pas avoir eu une hache ou un merlin en main, mais c’était ah oui c’était souvent dans la liste de mon frère, faire le bois. Découper, fendre, transporter, ranger.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

"Alain commença à fendre les bûches que Jean garderait pour lui. Il y avait une sorte de généreux plaisir à flanquer la hache dans le gras du bois et à forcer l'écartèlement des fibres"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

DSC01100

Je sais je me place entre Bastard et Kramer, j'ai peur de rien, mais. Mais quand je parle de vraies rencontres (voir là-bas), de croisements lire/écrire, il s'agit de liens très forts. Les Adolescents troglodytes, je l'ai écrit dans la non-connaissance de ces auteurs, et entre cette écriture et la sortie du livre, il y a eu ces rencontres. Peut-être qu'une vie à l'écart nous rapproche, je ne sais pas, les montagnes, l'altitude solitaire, les bêtes si près (parce que y'a aussi Revaz, dans l'histoire...), ne pas avoir peur du merlin, et savoir que c'est l'été qu'il faut penser l'hiver.

|