avoir froid
dans les tribunes du petit stade de rugby
Hélène est très particulière.
J'ai fait sa connaissance en avril 06, à Poitiers, où j'étais venue rencontrer ses élèves.
Il y a quelques temps, elle a animé avec son collègue Pierric, documentaliste, un atelier d'écriture pendant un vide-grenier.
Hier, en vraie tante indigne, elle est allée supporter son neveu qui jouait au rugby, sauf qu'au lieu de crier avec la petite foule bien serrée dans une tribune, elle s'est isolée dans une autre*, pour se geler en lisant un livre d'hiver.

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J'ai terminé hier après-midi "Les Adolescents Troglodytes". J'étais dans les tribunes d'un petit stade de rugby près de Montauban ( j'étais allée voir mon neveu jouer dans la boue). Je sais bien que les gens trouvaient ça bizarre de lire un livre ici... Ils me regardaient étrangement mais moi je voulais terminer ça absolument parce que c'est beau et que je ne voulais pas m'arrêter.
C'est aride, rapeux et lyrique, lyrique. ça m'a fait "bellement" mal par endroits (...)
J'aime cette écriture du pays, du paysage, de l'intérieur, des gens. Encore une fois (je te l'ai peut-être déjà dit ou écrit) ça résonne de Faulkner, de Giono, de Deleuze... oui, c'est lyrique comme ça, sans concession.
Il y a quelques années je travaillais dans un collège rural près de Tours. Je faisais la route depuis Poitiers et je passais sur le chemin du bus, avant lui parce que j'arrivais tôt. Dans la lumière des phares l'hiver, je voyais les enfants qui attendaient, les adolescents... Ils étaient comme les raisins d'une grappe : un ici, deux là, 4 ou 5 là-bas... Le bus les ramassait... j'ai pensé aussi à eux en lisant ton livre.
Merci encore, c'est magnifique, sincèrement.
Hélène

PS : je t'envoie ces photos parce que c'était "roots" l'ambiance et j'aimais bien ces petites tribunes et l'église qu'on voyait du stade, entre les poteaux ( c'est la religion rugby là-bas...). c'était pas vraiment en décalage avec le livre.


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*Cela m'a fait penser à une scène de ce film magnifique d'André Téchiné, lorsque François et Henri regardent un match de rugby que dispute Serge, admirablement filmé : François se retourne vers Henri, ils s'isolent dans un dialogue, oublient Serge un moment.

Ps : Hélène m'écrit : "Pour la petite note, je ne m'étais pas isolée c'est qu'on était là avant les autres, c'est donc avant l'arrivée des spectateurs (t'imagine, là ils auraient pensé que j'étais une vraie snob; et puis j'aime bien y être dans les tribunes et les écouter, les autres, les spécialistes, les spectateurs professionnels, les femmes et les hommes...)
Je te bise Emmanuelle".
Je lui réponds ici : oui, ok, mais lire c'est toujours s'isoler et la photo dit cet isolement, et aussi : souvent, lire, c'est snob, comme écrire, parce qu'alors on se fout de tout ce qu'il y a autour.
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givrés
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Pas de neige ce Noël, mais du givre. Pas de pères Noël Coca-Cola* à nos branches, il auraient finis tout blancs n'importe comment...

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N'empêche en ville, c'est la surenchère, et même dans les villages traversés : merci aux givrés Philippe De Jonckheere et Anne Verley pour avoir mis des actes sur mes pensées et ce en plein réveillon !

*Au moins, pas de doute, on sait clairement que le père Noël est une vaste campagne de pub, et je ne remercierais jamais assez mes parents ne n'avoir pas essayé de me pousser à y croire, à croire à quoi, au monde libéral ? Mes enfants non plus n'y croient pas...
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dans le froid s'il le faut, mais dans la solitude
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J'ai enfin fini de relire sur papier Les Adolescents troglodytes. J'ai traqué les répétitions, les incohérences, les fautes diverses. J'ai essayé de trouver le rythme de chaque phrase.

Maintenant, je dois rentrer mes corrections dans l'ordi (en essayant de ne pas re-relire).

Mais mon fils aîné, dont je squattais la chambre, est rentré d'Allemagne.
Je suis donc montée au grenier.

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Tant pis s'il est pas encore isolé du froid, tant pis s'il est poussiéreux, le plancher brut.
Tant pis si de l'air rentre dans mon dos.
Il est isolé des autres.

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Je ne peux pas écrire au milieu de tout le monde.
Je peux écrire sous le bruit de la pluie, du vent, et même dans le bruit des gens, oui, mais pas des miens. Ils me concernent trop. Et là, à J-moins trois, en mauvaise mère, en mauvaise épouse, en mauvaise prof (J moins deux pour le collège...), je ne suis disponible que pour mes personnages.

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bleuie
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Revoici que l'hiver confronte
Un bleu de neige au bleu de nuit
dites-moi sapin qui mord qui
L'ombre descend ou l'ombre monte ?

Maximine
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c'est l'été que l'on pense l'hiver
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"Du côté du soleil, la plainte des tronçonneuses dans la chair beurrée des sapins. Les oiseaux bondissent dans l'éclairage désordonné de la forêt. On les voit sans ailes. Corps libres dans les immobiles. S'abattant de loin en loin. Comme des poings serrés de plumes.

Comme si le vent protégeait les arbres des bûcherons ! Craquements. Une fibre, puis deux... L'arbre s'est assommé au sol. Dans un bruit sourd de nuque monumentale. Mes pieds dans la résonance. Puis le retour du grand reste. L'oiseau la terre. Les bûcherons couchent les arbres sous le vent."

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Retour au pré cette aile forestière"), Gallimard (mars 2005).

"Jean avait déjà commencé l'abattage, cédant à cette impatience du péril qu'il partageait avec Serge. Les arbres s'affalaient d'une hauteur folle dans un formidable froissement de branches. Alain se demandait si Jean se hâtait par plaisir ou pour en finir au plus vite avec ses scrupules devant le saccage entrepris. Il ne sentait plus ses doigts dans l'étau des gants croûtés de neige et de sciure. La stridence de la tronçonneuse s'obstinait à ses oreilles comme un écho de sonnerie toujours déçu."

Pascale Kramer, L'adieu au Nord, Mercure de France (septembre 2005).

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"Maintenant que je traverse le chemin de débardage, les sèves couchées, les moucherons qui volent dans une odeur de gasoil. Plus loin, dans la rumeur des grumes câblées qui se faufilent arrachant les sous-bois. J'entends l'engin forestier s'éloigner. c'est un débusquer, je reste sans adjectifs !"

Joël Bastard, Le Sentiment du lièvre ("Une écriture debout avec les arbres !"), Gallimard (mars 2005).

"L'air piquant trimbalait l'odeur toute fraîche de la sève des arbres tronçonnés. Cédant à l'infatigable gourmandise qu'il éprouvait à se savoir ici chez lui, Jean l'emmena admirer le massacre accompli en un mois : plusieurs ares d'un inextricable imbroglio de troncs, de branches et de ronces d'où émergeait ici et là la plaie jaune des souches agglutinées de sciure gelée dont il émietta une grosse poignée entre ses doigts"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

Je croise les premiers grumiers, larges dans les virages, qui m’obligent à ralentir et lâchent leurs souffles costauds sur ces routes inconfortables et cicatricielles.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

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Il mimait, avec de larges gestes exagérés, comment mon père faisait rouler les grumes du haut du vallon jusqu’à la ferme (on l’appelait la ferme du fond bien avant la montée des eaux vous savez, parce que, voyez, elle est juste en plein dans le creux). J’ai compris qu’il ne m’avait pas reconnu. Je savourais cet accent, son accent, mon accent retrouvé, j’en aurais ouvert la bouche en grand. Le gober, le reprendre. Le tracteur vous comprenez il pouvait pas tirer les troncs jusqu’en bas, c’était pas commode, ça s’embourbait ma pauvre, alors il les déchargeait au bord du chemin en haut (il me montrait du chemin, je devançais son regard). Il les poussait, ça roulait avec un de ces vacarmes, vous imaginez ça. Je n’imaginais pas, non, je me souvenais. Je me souvenais des roulements énormes et graves des troncs nus, puis de l’aigu de la tronçonneuse qui résonnait, et des tas énormes de stères bâchés le long des murs. Mais je ne me rappelais pas avoir eu une hache ou un merlin en main, mais c’était ah oui c’était souvent dans la liste de mon frère, faire le bois. Découper, fendre, transporter, ranger.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

"Alain commença à fendre les bûches que Jean garderait pour lui. Il y avait une sorte de généreux plaisir à flanquer la hache dans le gras du bois et à forcer l'écartèlement des fibres"

Pascale Kramer, L'adieu au Nord , Mercure de France (septembre 2005).

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Je sais je me place entre Bastard et Kramer, j'ai peur de rien, mais. Mais quand je parle de vraies rencontres (voir là-bas), de croisements lire/écrire, il s'agit de liens très forts. Les Adolescents troglodytes, je l'ai écrit dans la non-connaissance de ces auteurs, et entre cette écriture et la sortie du livre, il y a eu ces rencontres. Peut-être qu'une vie à l'écart nous rapproche, je ne sais pas, les montagnes, l'altitude solitaire, les bêtes si près (parce que y'a aussi Revaz, dans l'histoire...), ne pas avoir peur du merlin, et savoir que c'est l'été qu'il faut penser l'hiver.

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le ventre du lac

Il y aura 20 ans tout juste cet été, j'ai campé au bord de ce lac.

Un lac naturel, volcanique et profond (le premier lac du livre, voir ici).

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J'avais presque 17 ans. J'étais venue en stop avec un copain.

Quand il m'a pénétrée près du lac ça m'a fait très froid. Pas mal, non, froid. J'avais froid dans le ventre, j'étais gelée.

Depuis l'été dernier j'habite près de ce lac, je peux y venir même l'hiver. L'hiver il ressemble à mes sensations de jeune fille.

J'ai moins froid maintenant, pourtant.

Ce garçon je le savais était mal dans son corps. Ce garçon était une fille dans un corps de garçon. C'était mal ajusté.

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L'été dernier, au moment où mon mari, mes enfants et moi emménageons près de ce lac, cette fille me contacte à nouveau. Elle vient elle aussi de déménager et j'apprends qu'elle a habité 7 ans près de chez moi, ailleurs (là d'où on vient...) et qu'elle a une fille du même prénom que la mienne*.

Ma fille, elle, vient de me provoquer l'écriture d'un nouveau roman, à cause d'un petit poème que j'ai trouvé dans un de ses cahiers. Dans ce roman la narratrice est conductrice de navette scolaire. La seule que je connais, de conductrice, porte le même prénom que cette fille de mon adolescence (une féminisation de son ancien prénom), mon ex-petit copain*. Je me dis tiens, quand même.

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Elle m'explique qu'elle a enfin "transité", elle va bientôt subir sa dernière opération (une vaginoplastie) et me demande si je peux témoigner auprès du tribunal en vue d'obtenir un changement d'identité sexuelle sur ses papiers officiels.
Témoigner de son adolescence perturbée par son corps inadéquat, puisque j'étais là.


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Je lui réponds : bien sûr que je peux témoigner, je dois témoigner, j'étais si bien placée pour savoir. Tu sais où je suis maintenant ? Je suis tout à côté du ventre du lac.

Alors ça fait quoi d'avoir un vagin ? Est-ce que tu as eu froid ?

Naturellement, elle entre dans mon livre.

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Elle me parle de ses difficultés, de son "froid" avec son frère.

Dans mon histoire, la conductrice de navette, au même prénom qu'elle, a un frère travailleur sur corde. Le cordiste que je connais et que j'interroge pour l'occasion a le même prénom que le frère de cette fille en transition (et que mon mari)*. Je me dis, tiens, encore.

Naturellement, son frère et le frère de la narratrice se confondent, son frère entre dans le livre à son tour. Il s'approche du lac.

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Il n'y a pas 15 jours elle m'écrit que son frère - qui habite loin (en région parisienne) - vient de découvrir le lac, puisqu'il aide un de ses amis à retaper une maison pas loin... et pas loin, ça veut dire vers chez nous.

Heureusement le livre est fini.

L'été arrive, malgré la neige tombée il y a trois jours. Je laisse le lac reprendre ses gosses.
Au bord ma fille - ma chair, mon ventre - ira manger des glaces et réfléchir à d'autres poèmes.

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* dans le livre, les prénoms ont été changés
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Vertacos et Padgels

Ce roman doit beaucoup de choses à beaucoup de gens, parfois presque malgré eux.


À Lola tout d’abord, qui l’a mis en route avec son beau petit poème.
À Danielle, à toutes les filles nées dans un corps de garçon.
À son frère Stéphan.
À tous les enfants et adolescents qui prennent, ont pris, ou prendront la navette, en particulier à Lola encore, à Paul et Sylvère. À tous les petits loups des plateaux.
Aux conducteurs et conductrices des navettes scolaires en altitude et aux déneigeurs concernés, nocturnes et diurnes, en particulier à Christian.
Aux Vertacomicoriens, à Stéphane le cordiste, à ceux du Truc, à ceux de Greenpeace, du Bard et des Mondins.
Aux habitants du plateau ardéchois, à tous les padgels, néo ou pas, à ceux de La Tauleigne, de Verden, à ceux de La Rajasse.
Aux professeurs des écoles et des collèges du Vercors Sud et de la Haute Ardèche, à Daniel, à Marie-Paule, à Mallaury. À Monique, ancienne institutrice de Bertoire, même si là je triche avec l’altimètre.
À tous les membres de l’Association des Parents d’Elèves pour l’Ecole Publique des Hauts Plateaux Ardéchois, en ces temps de commémoration de la loi de 1905.

Aux gardiens du Lac d’Issarlès.

Au doryphore de Jean-Philippe.

Au souvenir, à la douleur et à l’énigme de Misty.

Décembre 2005.

Les adolescents troglodytes
, à paraître (POL, janvier 2007)

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glace
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Je vais vous parler en français, parce que vous autres, vous ne connaissez plus ma langue. Et c’est tant mieux. C’est une langue de pauvreté, de fatigue, d’hivers si longs à passer. Vous autres, vous parlez des mots confortables. Je suis heureuse de savoir que mes enfants vivants pourront parler à leurs propres enfants dans ce confort moderne. Ah oui je suis heureuse de savoir ça. Mais je ne m’en rends pas compte. Pour l’instant, je ne sais pas vraiment tout ça. Je ne peux qu’en rêver.
Pour l’instant, et ce n’est pas un instant, c’est presque une semaine déjà que ça dure, je suis au lit, et je ne supporte plus rien. Plus rien à mes oreilles, mes yeux que je ne peux plus ouvrir, et rien et tant de choses à ce ventre où la douleur commence et revient, après avoir fait le tour de tout mon corps. Une semaine pour me débarrasser de cet enfant qui ne doit pas être. Et tant de doutes. Je suis jeune encore, elles me disent celles du Faux, et j’en aurai d’autres, des gosses. Peut-être. Sans doute. Mais si ça doit faire aussi mal, et même plus, à naître, alors j’en veux pas. Je ne peux pas le dire à Henri, que j’en veux pas. Déjà qu’il ne comprend pas : ça ne peut pas faire si mal. Pas au point de rester si longtemps couchée alors qu’il n’y a personne pour la traite. Seulement celles du Faux pour s’occuper des repas, du linge, du ménage. Il ne peut pas comprendre, alors il marche là, dans la maison vieille, et ses pas me mettent des larmes.
La maison vieille, elle n’est pas vieille encore, puisqu’on n’a pas construit la neuve. C’est le pauvre Paul qui voudra la construire, la neuve. Mais Paul n’est pas né, il n’est pas mort. Il n’existe pas encore. Ni Rolland, ni la pauvre Nénotte, ni les autres. Aucun de mes enfants vivants ou morts. Juste cette douleur à mon ventre. Mon ventre qui devient tout mon corps, mon corps qui s’étire dans cette chambre, au point que marcher sur le sol c’est marcher sur mon ventre. Et la maison vieille est quand même pas bien commode. Le parquet, je voudrais l’arracher et le brûler. Les pas d’Henri dessus me sont insupportables. J’ai mal de partout quand il marche. Je crie mais sort, sort ! Il hausse les épaules, s’assoit près de moi, et commence son livre.
Henri, il lit tout le temps, et fume. Son haleine chaude met de la buée sur la fenêtre prise dans la glace. Je regarde la glace, et la douleur me ramène à moi. Je voudrais me passer de moi, et voir cette glace, je me dirais il fait froid. Mais il fait seulement mal, mal, si mal.

Vous autres, texte inachevé, février 2005

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nos pas sur la terre gelée


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Je me suis mise au milieu de ça, de nulle part, et les enfants en ont fait notre chez nous en quelques jours. Ils jouent et font du bruit pendant que j’installe nos affaires. Je me suis débarrassée du souvenir imprécis de leurs pères. L’espace sur le plateau est presque sans limite.

Le froid sur mes mains, sur la terre creuse des gerçures. J’examine ma peau douloureuse. Je devine du bout des doigts comment se termine loin de moi le corps de ces hommes. J’ai déjà vérifié cette incompatibilité entre leur dénouement sans fin et le mien, jusqu’à quel point nos solitudes ne se compléteraient jamais, avec quelle facilité elles ne sont complices que pour agrandir encore ce jeu, ce mal ajustement entre nous.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002

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