sur mon chemin un artiste passe

C'est juste en bas de la montagne*, alors ils utilisent les mêmes matériaux que moi : pouzzolane, rivières, pierres plus ou moins sèches...
Il faut y aller voir, s'y promener, c'est plein de pépites d'art.

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Travailler nos chemins, sur nos chemins, dans nos chemins, avec nos chemins.

Il ne s'agit pas seulement d'une mouvance artistique, de land art, d'art plus ou moins éphémère, il ne s'agit pas d'écologie non plus.


Ecouter Andy Goldsworthy, dont j'admire tant le travail, parler de flux et de temps dans ce documentaire de Thomas Riedelsheimer, et comprendre que suivre une rivière, c'est obéir à un besoin physique et un questionnement artistique majeur.

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Il faut lire aussi Joël, lorsqu'il écrit pour avancer pays, pour aller plus loin encore dans ce cheminement.

Je crois bien que pour écrire, il faut savoir où l'on marche, dans quoi, connaître la texture de nos lieux, avoir cette posture : écrire et créer dans le dehors. Oui, être dedans et dehors. Ecrire et créer avec notre corps, c'est être dedans et dehors, faire se toucher l'intime et l'extérieur sur une peau sensible : l'écriture, l'art.

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La ville agit je crois de la même façon, simplement, elle offre plus de cadres : l'art y est à la fois plus présent et plus cloisonné, mais pas toujours. Travailler un paysage est essentiel, qu'il soit urbain ou rural. Regarder et renifler autour de soi...

Je me revendique parfois, avec une très légère exaspération et une toute petite ironie, écrivain de "terroir", mais ce pays pourrait être n'importe lequel. Du moment que j'y vis, j'écris depuis cet endroit, cet envers de moi : là où je suis, là où je marche, et tant pis, tant mieux, si mes chaussures ou mes livres sentent le fumier.

* et, c'est comme ça et ça ne gâche rien, ceux qui sont à l'origine de ces chemins sont les parents d'un de mes petits sixième...
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la réception
L'écriture des Mains gamines me pose des problèmes inattendus.

Je croyais me balader sur des faysses, passer mon temps numérique à chercher comment déloger un insecte de l'oreille, mais voilà que le plus gros du roman semble se situer dans une grande réception semi-mondaine...

Or je ne sais pas organiser des fêtes de ce genre.

La seule fête importante à laquelle j'ai été conviée est celle de Cherchemuse, chez Christian,


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où tout le monde met la main à la pâte et au violon

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même mon petit Paul

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Cherchemuse n'a rien à voir avec la réception "d'entregens" que doit préparer ma narratrice, maîtresse de maison tenue à la perfection, femme au foyer, aidée de son personnel, essentiellement sa femme de ménage, dans laquelle je me projette tellement plus facilement, lavant mon linge sale en public avec un travail d'écriture qui plonge mes mains dans la crasse.

Il va falloir que je me documente sérieusement sur un sujet qui ne me passionne pas du tout, des histoires de traiteurs et de mise de table.

Mais ce n'est pas la première fois : il y a trois ans je n'aurais jamais cru passer des mois à lire des magazines de coiffure...

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Blanche
En avril dernier, pendant le salon d'Alençon , j'avais rencontré des auteurs de polar, notamment Sylvie Rouch et Olivier Thiébaut, des auteurs très très sympas, qui rigolaient bien. Ils faisaient des blagues que je ne saisissais pas : c'est normal, tu fais pas de la "noire", tu fais de la "blanche", tu peux pas comprendre.

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Devant mon ignorance, ils m'avaient expliqué que la blanche c'est la "belle littérature française", celle qui se prend au sérieux et est publiée dans les couvertures plus ou moins immaculées des maisons d'éditions "prestigieuses".

Mais ils ne croyaient pas si bien dire...

En janvier Les Adolescents troglodytes, une histoire d'hiver, avec de la neige jusque là, une histoire blanche, blanche, blanche et froide va paraître sous la couverture blanche de POL. Et ces adolescents perdus dans la burle, ce vent violent des plateaux qui fait tourbillonner la neige, seront accompagnés par un livre d'Olivier Cadiot , et c'est vraiment pas fait exprès, mais son livre s'appelle Dans la neige profonde...

Alors oui, chez POL la rentrée de janvier ce sera très très blanche...

encore que :

Quand ils montent dans la navette, ils savent bien, eux, s’ils ont effacé la course d’un sanglier ou l’hésitation d’un chevreuil, ils me le disent (pour l’information du jour). La neige blanche, la neige vierge, ça n’existe que dans les livres.
(...)
La neige est dure, mais soudain des jambes entières s’enfoncent, des cuisses jusqu’aux hanches (j’entends des rires isolés). On est près des faîtes, mais aussi du sol, relevé. Et ce sol est une neige gribouillée d’épines, de poussières, trouée d’étoiles de pluie glacée. On marche courbés dans cette neige des sous-bois, souillée par les brisures déchargées pendant des semaines de vents contraires. Les lampes éclairent ces reliefs répandus de partout, légèrement parfumés.


Les Adolescents troglodytes, à paraître POL.

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les roses et le terroir : la bibliothèque du village
Bientôt les vacances de Toussaint je vais pourvoir aller à la bibliothèque.

Cet été, j'avais aidé au tri du bibliobus : cela consistait à pencher horizontalement les livres que le village allait garder pendant trois mois.

Une habituée m'a dit : je m'occupe des documents, tu fais les romans ? Ah oui, pas de problème !

Elle doute. N'oublie pas : les lecteurs veulent du terroir. Ah du terroir : et hop, un petit Jim Harrisson (terroir du Montana), et un H. Crews (Géorgie) et comme ça j'ai détourné tout ce qu'on me demandait....
Si, Mauvigner, c'est une histoire d'amour, si ça c'est une "saga", et ça c'est "lyrique", mais tu comprends pas, Pierres Senges il est Ardéchois ! si ça va plaire à vos lecteurs, Ah, Leslie Kaplan, c'est historique... et voilà notre village pourvu pour quelques semaines encore de LITTERATURE !

Dans cet enthousiasme, je sais même plus ce que j'ai sélectionné, mais je languis les vacances pour retrouver tout ça.

Le mec du bibliobus me regardait avec des grands yeux, persuadé que j'allais vite (ah oui, je savais ce que je voulais !) à cause de Paul qui faisait la foire*.

Déjà, il avait mis de côté ma "commande" : des livres encore vierges d'emprunt, des Savitzkaya, des Véronique Ovaldé, et plein d 'autres... C'est tout pour vous ? Et oui !

Je me retourne : oh vous avez le "matricule des anges" ? Lui : oui, et de m'expliquer ce que c'est une très bonne revue de littérature... Je souris : je connais, ah non, celui de septembre 2005, merci, je l'ai, je l'avais acheté. Le bibliothécaire fronce les sourcils "vous êtes sûre ?" Je n'ai pas osé lui répondre que oui, parce que dans celui-là, y a une super critique de mon livre...

Non, je n'ai pas honte d'avoir sorti du bus une bonne vingtaine de romans dont les lecteurs de ce village sont peu familiers. Non, je n'ai pas honte d'y avoir laissé les derniers Marc L. et autres Amélie.

Déjà, j' ai offert à la bibliothèque un livre de , que j'avais eu en double.

Et puis...

Ce n'est que justice : dans un autre petite bibliothèque de village, un ami me l'a raconté, ils avaient eu un don, quelqu'un s'était délesté de tous les Genet... TOUS ! Il s'était vite inscrit pour les lire. Il cherche : il y en avait un peu en "poésie", mais il en manquait. Il se retourne : beaucoup étaient classés en jardinage : Miracle de la Rose, Notre-Dame-des-Fleurs... et Des fois juste à cause de "Genêt" !

Alors si lire Genet c'est apprendre à faire des plates-bandes, moi je peux bien mettre les Harrisson et Elwood Reid et même Harrry Crews dans "romans de terroir". Je m'excuse, y' autant de vaches et d'odeurs de terre, et chez moi, ce n'est pas péjoratif, bien au contraire.

* (Il a fini par se blesser sur les marches en fer du bibliobus, on l'a entendu crier à la boulangerie, située de l'autre côté du village...)
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épreuves
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Je vais donc me consacrer pour quelques jours à ces épreuves.

Le problème, c'est que je ne fais pas que vérifier les corrections, les approuver ou non : j'en profite pour encore tout relire, des fois qu'une virgule ne serait pas à sa place...

J'ai déjà passé l'après-midi sur la balancelle avec ces pages en ayant d 'abord pris soin d'envoyer balader plus loin les enfants...

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Car en même temps que le pli de P.O.L., j'ai reçu aussi ce cadeau de mon mari. Il devait sentir l'orage arriver - face aux épreuves, je suis insupportable - et s'était dépêché de me fabriquer une balancelle...

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Mais ce soir, je vais réintégrer mon grenier...
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Dzio, la rivière


Mon père gonflait ses poumons pour l’imiter, il devenait Dzio, la rivière. Je riais avec mes dents en moins, ma bouche de petite fille. Elle fait beaucoup de bruit, la rivière de mon père.
Je ne la vois pas encore. La forêt est pleine d’ombres. Je sens la chaleur maintenant. Les ombres nous protègent à peine. Elles troublent la lumière du soleil sans atténuer sa force. Tout ce vert sourd m’étourdit un peu. Mon père a mis un short en jean. Moi j’ai une petite jupe et un tee-shirt bleus, le coton se colle à ma peau. J’ai relevé mes cheveux. Je suis mon père, sa démarche est déterminée. Il se retourne quelquefois pour s’assurer de ma présence. Au lieu de couper à travers les allées de cacaoyers, on a fait ce détour troublant, par la forêt. Je ne sais pas s’il se souvient du chemin, mais il a l’air de savoir où il va. Je crois qu’il trimballe quelque chose dans la tête. Moi je le suis, comme je l’ai suivi jusqu’ici, jusqu’en Afrique, juste en fermant les yeux, et sans me poser de questions.

Arrivés au bord de la rivière, on s’assoit sans parler. Il y a trop de bruit. Je laisse tomber mes jambes dans un trou d’eau, pour me rafraîchir, en agaçant les têtards.
L’eau est rouge et sombre et pourtant lumineuse, comme un intérieur de grotte.

Mon père sort un paquet de cigarettes de sa poche arrière. Il l’ouvre et en attrape une entre ses lèvres, comme un manchot. Ça me faisait rire quand j’étais toute petite. Il fumait en cachette, il mettait un doigt sur ses lèvres pour me faire comprendre que je ne devais pas le répéter. Il souriait. Il mettait ses mains dans son dos, attrapait la cigarette avec la bouche et la fumait tout entière comme ça, sans les mains. Moi je jouais avec lui, j’étais complice. Je passais dans son dos pour lui tenir les mains, je mettais ma tête sur son épaule gauche et je l'embrassais dans le cou. La fumée me venait dans le visage, je trouvais l’odeur agréable. Je me sentais pourtant coupable, je comprenais que ce n’était pas bien, de fumer, de mentir, ma mère le disait, et c’était tellement bon en même temps, humer le relent parfumé du souffle de mon père, tout contre lui, à la fois inquiète et rassurée. C’était bon de mentir à ma mère.
Je regarde mon père finir sa cigarette, on est en train de faire encore la même chose, lui mentir, la trahir. Je ne sais plus si c’est vraiment bon. Il est si beau mon père. J’aime ses moments où tout s’inverse. Mon père enfin déraisonnable. Ma mère absente. Ma mère, ma peur.

Mon père se tourne vers moi, ses yeux ont leur belle couleur violette, profonde. Ses paupières tombent un peu. Je vois son âge avancé dans l’ombre qu’elles portent jusqu’à moi. Une plainte toute douce au milieu du vacarme de l’eau ramène mon regard de l’autre côté. Je vois le soui-manga frétiller, ébrouer ses couleurs, juste au-dessus de nous. Il se calme soudain, s’immobilise, on dirait qu’il vérifie la frêle ossature de ses ailes, sa tête minuscule vers l’arrière, il bouge un tout petit peu, secoue son corps, soulève ses petites pattes. Quand il s’envole, j’ai l’impression que son mouvement s’imprime sur celui qui m’oblige à respirer. Je sens mes côtes se soulever en même temps qu’il bat des ailes, très vite. Il me semble étouffer dans son envol, et mon souffle s’emballer dans un étranglement de lumières. L’oiseau n’est déjà plus qu’un point brillant à l’autre bord de la rivière. Je ne savais pas que les colibris prenaient appui sur nos inspirations, pour s’en aller plus loin.

Je voudrais nager un peu, plonger, me laisser submerger, mais l’eau n’est pas assez profonde. Le courant doit être assez fort pour m’emporter. Mais jusqu’où ? Je voudrais me noyer. La rivière est tellement bruyante qu’on ne devrait même pas entendre le « plouf ». Tellement bruyante. Je mets ma tête dans mes bras.
Je n’entends même plus respirer la rivière. Je ne sens plus l’eau pressée, serrée autour de mes chevilles, l’engourdissement de mes pieds dans la vase au fond. Je ne sens plus la chaleur étouffante, ma poitrine écrabouillée. Les abords de la forêt toute proche ne ramènent que des souffles inodores. Je ne vois plus aucune couleur autour de moi. Je me lève brusquement, mais rien ne bouge. J’ai mal à cette terre qui n’est pourtant pas la mienne. Je voudrais partir. Le pays de mon père est sans couleur, sans odeur, sans bruit. Mon père, mon silence.

Mon père ressemble à sa fille, une fille à ses côtés. Il m’a fait rasseoir, il essaie de me retenir en maintenant mes bras de ses mains. Ses doigts étranglent ma peau. Je ne sais pas s’il essaie de m’asservir, ou de me protéger. Ses yeux sont à la poursuite des miens. Ils sont grossis par la violence, mais son regard est calme, et tout ce calme m’intimide.

Ta mère, on ne peut plus rien pour elle. Il faut oublier, pas oublier complètement, mais si, un peu.

Mon père est debout et me tend la main pour que je me lève aussi. Je ne la prends pas.

La forêt du Kaba est soudain à nouveau pleine de bruits dont je ne connais pas l’origine. Je n’arrive plus à réfléchir. Mon père a laissé tomber sa main. Il me tourne le dos. Je sens une peur monter en moi, une peur dont je n’ai pas l’habitude. Rien à voir avec la peur de ma mère. Mes pensées me portent. Je me laisse faire. Je ne peux plus les contrôler, les organiser, leur donner du sens. Elles m’offrent le vertige.

L’eau paraît ne pas bouger. Sur elle, rien ne se reflète. Elle est griffée par endroits, je vois sur sa peau apparaître et disparaître les traces des araignées. Les libellules se froissent dans les herbes hautes. J’aime leur bleu variable. La rivière reprend son mouvement d’eau vive, et toutes ses couleurs. Tout me semble troublé, troublant, au bord de cette rivière. Dzio. Mon père.

Pas devant les gens, Ed. de La Martinière, fév.2004

red de 15 AVRIL 2006 PIERROTBATHROOM (273)

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La Loire au lever
J'ai eu il y a quelques temps une discussion avec François Bon sur son site à propos de ce fleuve, près duquel Joël Bastard a écrit son au dire des pas et "arraché d'un saule têtard" son bâton de marche (voir les commentaires ici).

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La discussion avec F. Bon a disparu. Je lui demandais comment c'était possible qu'il écrive: " la Loire est pour moi, ici au pays de Balzac et Rabelais, un élément important, mais mon travail, les perceptions esthétiques qui me requièrent pour un livre, n’interfèrent pas avec elle", que je n'y croyais pas une seconde.

J'insistais sur l'interférence justement du lieu dans notre écriture (ce que Joël appelle "le grand dehors") et je lui disais tiens, ce serait marrant de faire suivre nos écritures. Du Mont Gerbier à l'océan, en passant par "chez moi", le Centre Poétique de Rochefort-sur-Loire où Joël Bastard donc, à pris son bâton de marche et à écrit Au dire des pas, par la centrale nucléaire de Neuvy-sur-Loire , pour se demander à quoi on pense, en s'arrêtant chez F. Bon, avant d'aller jeter nos mots dans l'océan.

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Je la prendrai bien, là au lever : à sa source, au début du jour.
Pour l'écrire.

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Il faut dire que chaque matin, je la passe, pour aller travailler, au petit jour. Elle est vite franchie, toute menue, à son réveil.
Bientôt, je la verrai couler de nuit, puis sous la neige, et enfin sous la glace.

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Mais elle continuera, même réduite, son long chemin jusqu'à François Bon, puis l'océan.

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Ps : suite ici avec en rappel cet hommage à Julien Gracq...

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en avoir ou pas
Ah les fiches de paie de l'éducation nationale, j'en ai eu de toutes sortes.

Un jour, je me suis penchée sur l'une d'elle. J'étais surveillante d'externat. Enfant à charge : 0 (j'en avais qu'un à l'époque). Renseignement pris, "dans les bureaux", je n'avais effectivement pas d'enfant.

J'insiste, en leur certifiant que si, j'en étais sûre, d'en avoir un. Je me souviens bien avoir été enceinte. Je me souviens de l'accouchement "avec douleur" et de la rééducation suite à quelques "erreurs" (plus de 4ans !). Il est même pas loin, ce petit garçon, vous savez tous les jours toutes les nuits je suis avec lui, sauf quand je vais travailler au collège...

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On me demande de le prouver. Je leur demande quel intérêt j'aurais à mentir avoir un enfant. On me répond "à cause de l'ASF" (un supplément de salaire de 17,5 francs à l'époque). Je leur conseille de lire la fiche familiale d'état civil déjà fournie. On me répond que cette fiche doit être un faux. À force d'insister, on s'énerve, on me traite de fraudeuse, etc. Je commence moi aussi à perde mon humour.

On me sort l'agurment imparable, avec agacement : "madame, si vous aviez été enceinte, on aurait trace de votre congé maternité, or il ne figure dans aucun service !"

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Je proteste : c'est sûr, je n'ai pas pris de congé maternité. Ah, elle est bonne celle-là, c'est impossible ! Si c'est possible, j'ai eu cet enfant avant de commencer à travailler.

La personne n'a pas pu s'empêcher alors de me faire la morale, mais elle a conclu en disant que mes fiches de paie allaient être modifiées.
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au-dessus, encore
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J'en ai déjà parlé ici-même : aujourd'hui et jusqu'à dimanche ce sont les pérégrinations littétaires : marcher, écouter les poètes et les écrivains marcher et s'arrêter, faire marcher des musiciens, écouter les mots passer d'un comédien à l'autre...

Ces marcheurs sont :

Annie Saumont (Paris), Nouvelles, Qu’est-ce qu’il y a dans la rue qui t’intéresse tellement ?,
Joelle Losfeld, juin 06

Philippe Fusaro (Lyon), Inédit, Portrait de moi avec femme, enfant et personne d'autre
La Fosse aux ours, automne 2006

Béatrice Commengé (Paris) Six jours (Rilke à Paris) Flammarion, automne, 2006

Joël Bastard (Monts Jura- Ain) Poésie en chantier, Récits d’Afrique

Timothée Laine
(Paris) Poésie, Balbutiements Atelier du Grand Tétras, 2005

Sylviane Chatelain (Jura suisse) Roman, Une main sur votre épaule, Campiche, 2005

Gérald Chevrolet (Jura Suisse) Roman en chantier, Bec de lièvre et gueule de loup

Louis Ciréfice
(Lyon), Inédit, Accordéon et balarella , 2006

Alberto Nessi (Tessin) Poésie, Iris Violet, Revue Conférence N° 12, 2003

Francis Jeanneret Gris (Jura Suisse) Poésie, Epaves, Atelier du Grand Tétras, 2006

Raphael Urweider
 (Zurick) Poésie, Lumières à Menlo Park, Empreintes, 2006

Jacques Moulin
(Besançon) Poésie, Escorter la mer, Empreintes, 2005

Doris Jakubec (Coppet) Direction de l’édition des Romans de C.F. Ramuz, Bibliothèque de la Pléiade, 2005

Patrick Longuet
(Paris) « Lire Claude Simon »,. Editions de Minuit, 1995

Alain Rochat - Empreintes (Lausanne - Vaud) et Daniel Leroux - Atelier du Grand Tétras (Mont de Laval -Doubs) : éditeurs.


Muriel Racine et Catherine Cretin (France) , Gérald Chevrolet et Daniel Vouillamoz (Suisse) : comédiens, passeurs de mots.

L’Ensemble Poïesis (Marion Fourquier - harpe/ Christina Presutti - soprano) Lyon
Piano solo:
Pierre Mancinelli Paris/Cinquétral
Trio franco-genevois :
Jean-Yves Poupin : synthétiseur
Thierry  Hochstatter : percussions
Frédéric Folmer : guitare basse


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L’association de coopération culturelle transfrontalière Saute-Frontière basée à Saint-Claude (Haut-Jura) a pour but de faire connaître et partager les langues et les cultures. A la culture de la montagne - celle des modes de vie façonnés par la diversité des paysages et des savoir-faire - elle associe la recherche en sciences humaines et la création littéraire dans un souci de décloisonnement et de mélanges féconds.
Cette alliance entre des savoirs pourrait être à l’origine de nouvelles audaces tant dans les domaines de la création que dans la diffusion des idées. Traversant les frontières politiques et linguistiques, elle espère contribuer à une meilleure connaissance des uns et des autres.

En compagnie d’écrivains, par la marche, la lecture, la rencontre avec les habitants d’ici et d’ailleurs, jouant à saute-frontière entre France et Suisse, réel et imaginaire, depuis cinq ans, nous cherchons à faire connaissance afin de mieux vivre ensemble.

En 2006, nous souhaiterions mettre en synergie ces chemins d’écriture qui nous ont portés d’Est en Ouest et du Nord au Sud de l’Arc jurassien pour donner corps et sens à notre aventure, en mémoriser la trace littéraire et l’impact géographique, avant de nous tourner vers l’avenir. Nature du paysage, nature humaine, nature de l’art. Ici le paysage s’impose comme expérience fondamentale. Passage de la géographie à la topologie, de l’image du monde extérieur à celle d’un lieu intime recomposé par l’écriture. Comment, dès lors, mettre en ordre cette expérience de la nature élémentaire, sans cesse travaillée par les cycles des saisons, cette mémoire, cette histoire ? Quels rapports se construisent entre l’expérience du paysage et la nature de la langue ?

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Ecrire c'est marcher, marcher souvent c'est écrire, je ne pense pas que Joël me contredise, lui qui écrit "pour avancer pays".

En plongeant dans les nuages ce matin, je pensais à ses pérégrinations, et je me demandais s'il y avait des nuages, si les lecteurs marchaient dessus ou dessous, dedans, pour écouter ce pays avancer. Si les mots étaient modifiés, comme avec une sourdine sur un violon*, d'être dits dans de l'eau d'air.

* dans la série coïncidences et cie, j'étais chez Christian Morin ce week-end : il y avait Xavier des Aminches qui jouait du violon, en remplaçant la sourdine par des pinces à linge. Il suffit de dire "Jura" ou "Vercors" pour que christian se mette à rouspéter et raconter... autour de la table il y avait deux Suisses, dont l'un habite près des pérégrinations jurassiennes. Je l'ai saoulé pour qu'il y aille. Ce serait marrant que de La Rajasse aux monts du Jura, que des emportement Christian à la poésie de Joël, je sois passeuse...

Il faut dire aussi que ces personnes à table avec nous dimanche ont laissé leurs chevaux en pension à La Rajasse.

S’il venait vers moi les yeux pleins je me levais en répondant à ses questions aphones. J’y vais, j’y vais. Et quand je ne savais pas où, y aller, j’allais toujours voir les chevaux, nos pensionnaires.

J’aimais beaucoup aller voir les chevaux, les entendre, les entendre bien avant de les voir. Pas les entendre : sentir de tout mon corps leurs bruits peser sur le sol, des centaines de mètres tout autour. J’aimais marcher sur leurs vibrations étirées, corpulentes. Je me laissais trembler dans leurs trots écartant les fibres de la terre, lourde elle aussi, malmenée.
J’étais dans un livre qui ne me quittait plus. Je l’avais emprunté au lycée parce qu’il décrivait la lutte contre une inondation dans la montagne. Je m’étais embarquée dedans et j’avais décidé de ne jamais le rendre. Il y avait un passage très beau, où une vieille dame se faisait encorner, secouer, éventrer, déchirer, traverser par un grand taureau sortant des eaux qui recouvraient les champs. La violence de cette mort, je sais pas pourquoi ni comment, me réconfortait, rassurait quelque chose en moi. Le bruit des chevaux remontait cette lecture dans mon corps, et je me suis jurée un soir près de lui de choisir le prénom de cette vieille pour ma seconde naissance, en espérant finir toute ratatinée comme elle, toute menue, dans un corps à corps démesuré avec le paysage en mouvement.

(Les Adolescents troglodytes)

Ce livre est Batailles dans la montagne de Giono, mais en ce moment, les livres que je fourre dans mon sac d'ordi avant d'aller travailler, c'est-à-dire plonger dans le brouillard, ce sont ceux de Joël (je sais que je n'en lirai pas grand'chose, beaucoup de travail en ce moment aux collèges, mais comme Claudine Galéa, je en sors jamais, où que j'aille, sans un livre).


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le matou revient
Le 1er mai 06, j'étais à Arras, pour le festival "colères du présent", j'en ai d'ailleurs profité pour parler d'une de mes colères...

Patricia, elle, en a profité pour m'entretenir avec elle dans son émission "le matou revient"* : c'était très détendu, et on a parlé de plein de choses, et en plus, la très belle surprise, c'est que l'émission se finit avec un bout de L'enfance de Léo ferré.

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* (et cette chanson de Steve Waring, je la connais : j'ai trois enfants).

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périmètre visage
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périmètre visage

chroniques d’atelier

(16–26 août 2006)


« … c’est sans doute le moment où tout le corps devient chambre noire »

B. Noël, Treize cases du Je


1


chair
et gris
font visage

gras visage


*

et l’on voudrait
ramasser
les gestes
tous les gestes
en une phrase
quelques phrases à la limite

peu de phrases

une pelure

tout ce buisson
cette broussaille
en feu
des gestes


ce crépitement
plus vif
que la pensée

qui déborde d’elle
et lui trace une crête


*

un poète que j’ai vu
cousait des gestes

toute une constellation
dans sa parole
au fond d’une bibliothèque

gestes plantés comme
des os
dans la chair molle
du verbe

c’était pour simuler couleurs
et coulures

2


l’angle du coude
d’attaque

gueule avide
respire

mâche
et remâche
l’espace vivant
entre mon corps
et le mur

mâche l’air

ça pousse des cris
dans la couleur
la couleur fait voir
et voix

*

le geste
est un périscope
posé sur l’épaule
à côté de la tête

puis jeté
sur la planche
ajourée de l’aveuglement

qui coule comme un
macramé

*

c’est un langage
dans lequel on trempe la langue
comme un vif


la pensée déserte

chaque trait
mis en cause
par celui
qu’on lui superpose

barré net


3


l’œil
croise l’œil
croise l’œil

devant soi quelque chose
d’aussi grand
ou de plus
grand que soi encore

et c’est corps ( vif)
à corps (inerte)
avec entre

cet œil cru

l’œil jamais vu
ni mangé
qu’on cherche


*

un frisson attise
quelque chose
à même la peau

la lumière entre
inonde les murs
blancs
nivelle les planches
et les tréteaux
taille ras les pinceaux


*

Le plus dur
c’est le retour

s’affaler dans la marge

dans le canapé qui
sent le neuf

les yeux encore loin
dans le corps

4

aujourd’hui bleu
avant même de commencer
je sais

et ça me rapproche de lui
de ça
qui crève la poitrine
aussi

ça me rapproche d’eux
cette hémorragie-là
en partage

mais timide devant le bleu
on reste
on ne sait
quoi atteindre

quelque chose de mince
de froid
un jus

posé comme
à peine essuyé

*

je repense à lui
dessous quelque chose
de plus grand
ou d’aussi grand au moins
que lui

ça a déjà eu lieu
ce quelque chose
mais il s’assoit dessous
là comme 
à l’instant né

*

peindre, écrire et peindre encore
pour dire
plus vaste

mieux qu’en bouche

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5

ça crève les yeux
on dit ça
et Cézanne disait
mes yeux saignent

et personne
ne ment
trop dans l’histoire

dedans attaque dehors
par la vue
et dehors le lui
rend bien

et c’est l’œil
(entre-deux / entre eux deux)
l’enclos
de toutes rétorsions

*

pieds nus
toujours pieds
nus

presque nu
il faudrait peindre

tant le corps est


l’image est
fille du corps
dit-elle
et le corps est la face entière
du regard

*

graduellement le silence
le silence
qu’on mange
à petites bouchées
quelque chose de
rare
qu’on économise

en bas la circulation
on ne l’entends plus
ça ne gène pas

l’œil se tait
saigne juste
rouge

juste



6

le corps s’éloigne
se plie
replet
se replie
se recroqueville

tout entier paupière

s’entortille sur son ventre
comme sur un œil
éteint

mais la fourmilière dans
la langue
ne dort pas
tout à fait

*

ce n’est jamais
que cela 
quelque chose en travers
jeté


nous ne faisons
pas mieux

*

elle me dit
pour commencer
c’est comme si les traits du visage
revenaient dans le support

et c’est ça

ça se met à faire partie
du dé-corps

les contours
du visage
lèchent autour
la grisaille

le plein visage
n’est pas sans
lacunes



7

une surface
qui refuse
le plus possible

on cherche ça

quelque chose qui
crache au visage
les visages

qui fasse lever
les reflets comme
des cloques

quelque chose qui refuse assez
pour être sûr

presque

que les restes
ne soient
que soi

*

on en parle
et la langue s’adosse
à son dos creux

c’est toujours de dos
que nous manquons
comme de visage

et l’absence nous guette
derrière
diffuse

nous tire la tête en arrière

*

si j’avais des yeux
dans le dos
sa géographie
en serait-elle moins
affolée ?

8


j’ aime mon visage
à nu, tout à
elle

j’ai pensé
: je voudrait qu’elle m’aide
à creuser ce
visage

(mais qui ça… elle ?)

à gommer les aspérités
par un trou plus grand
d’ignorance

en plantant dedans l’angle
coupant de sa nuit

*

j’ai pensé ça
et dans la journée blanche
rien n’est


j’ai raté tout
jeté tout

les mains éteintes

*

si
certains se font
de trop grands trous

des trous démesurés

des tombes dans la figure


c’est pour faire terre
le corps


9

comme une vessie
pleine
entre les yeux

ce doublon
de visage
jeté devant moi

des miettes aux creux
du jour

*

il faudrait voir tout
de l’intérieur
de ma bouche

le voir même
du fond de ma
gorge
ce visage


et déglutir
pour humecter l’œil,
ce galet brûlant

*

mais toute cette écriture
dès qu’on l’écrit trop

tout ça déjà

bouche la bouche
obture
comme un chiffon
roulé serré

ça roucoule moins
c’est mieux

faire court les
visages
pour ne pas bavarde


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mes collèg(u)es en notre pays
Comme moi, d'autres profs font la navette entre l'un et l'autre.

Mais ces collègues le font souvent avec découragement (pour eux c'est loin, c'est haut, c'est dans les nuages et la neige longtemps), parfois avec réticence.

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Déjà, en "bas" les élèves sont catalogués par beaucoup de profs comme des enfants de "paysans" et futurs paysans eux-mêmes, mais en "haut" ce sont plus que des paysans, ce sont des "padgels", des paysans aussi, mais pire : des paysans accrochés à leur terre. Parmi eux, ma fille, arrière petite fille de paysans aveyronnais, si on veut à tout prix avoir raison...

En "haut" c'est un petit collège, environ 80 élèves, 4 classes de 6ème à la 3ème.
Ces élèves sont paraît-il des grosses feignasses, n'apprennent rien. Oh c'est sûr, me confie leur jeune, dynamique et sportive prof d'espagnol, une prof sympa pourtant, ils veulent rester sur leur plateau, alors, pour élever des chèvres, y'a pas besoin de l'espagnol.
Sauf que, voilà, je lui explique, tout d 'abord, il n'y a presque pas de chèvres sur le plateau, mais un peu de moutons et surtout des vaches à viande. Et puis, tu sais, je vis là-haut, j'y ai des amis agriculteurs, très cultivés, d'autres pas, et très fermés, comme partout. Les enfants des uns comme des autres ont besoin de l'espagnol, du russe, du chinois, des arts plastiques, de la musique, tout le monde à besoin d'apprendre une langue étrangère, une langue qui ne soit pas forcément instrumentalisée comme l'anglais, ils ont besoin de littérature, d'histoire, de sciences, etc, tout simplement pour vivre. Alors ne dis pas des choses pareilles. Elle me dit, mais je leur dit pas. Je m'énerve : mais tu le penses !

Elever des bêtes à viande n'empêche pas de lire des poèmes. Mais surtout, on n'est pas là, nous les profs, pour préparer l'avenir professionnel de nos élèves, on est là pour leur avenir tout court (et tout grand), pour faire de nos élèves des citoyens, des citoyens du monde, pour qu'ils aient une culture, un esprit critique, l'envie d'apprendre, encore et toujours, le besoin de découvrir.

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Pourquoi un agriculteur aurait moins besoin d 'art, de langue étrangère, d'ouverture, d'histoire, de sciences, d'esprit critique ?

Elle me dit que c'est eux qui affirment ça, qu'apprendre l'espagnol ne sert à rien. Mais oui, dis-leur : ça ne sert à rien, à rien d'autre que grandir, sur la plateau comme ailleurs. Elle me regarde comme si j'étais une sorte de martien, peut-être me regarde-t-elle comme si j'étais une de celle-là, une padgel, obtuse, têtue, à vouloir rester sur "mon" plateau.

Quelques jours après, j'ai une discussion avec un de mes élèves du collège d'en "bas". Un grand 3ème, barbu et un peu crâneur, arrivé en cours en jupe longue : de fil en aiguille à propos de sa tenue (il était vraiment superbe, on en est naturellement venus à parler tolérance, travestissement - ce n'était pas du tout son cas, mais ça aurait pu - liberté de penser, etc) je lui ai dit que je n'étais pas là pour les préparer à une quelconque profession, et devant sa surprise, j'ajoute : "tu ne vas pas être que boulanger ou artiste, de toute façon, quand tu seras grand, tu ne vas pas être déterminé par ta profession, si ? Tu crois que moi, par exemple, toute ma vie, tous les moments de ma vie, je suis seulement prof d'arts plastiques, quand même?".

Si, il le croyait : il faut dire que les profs, ça donne toujours des leçons, ça croit toujours tout savoir, sur tout, tout le temps. Alors pour lui, être prof, ce n'est pas enseigner, non, c'est une attitude, un comportement, un caractère, un sale caractère.
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