avoir mal
la petite vieille et le type de la route
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En me replongeant hier dans ce film, je me suis dit : cette petite fille devenue vieille, revenant sans cesse à l'endroit de la disparition de son père, ne fait pas autre chose que ce que fait le type de la route, attendre quelqu'un qui ne reviendra jamais.

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Parce que oui, c'est Rémi, celui qui tient le bouchon littéraire de Privas qui me l'a dit : il y a bien eu un accident à l'endroit où ce type attend, et ce seraient des personnes de sa famille.
Je ne sais pas pourquoi ça me touche autant, mais j'ai le ventre froissé à chaque fois que je passe devant ce type, et quand je regarde Père et fille je m'identifie complètement, mais, et là est le plus étrange, je ne m'identifie pas à cette petite fille qui attend*, non, je m'identifie à celui ou celle qui disparaît, et les larmes qui me viennent sont pour mes enfants que j'abandonne, mes enfants devenus vieux...

* pourtant, ce serait le plus simple à comprendre (mes parents ont été séparés longtemps à cause de leur travail et j'attendais si longuement mon père que lorsqu'il revenait je me souviens je me disais : tiens, le type qui vient voir ma mère, sans comprendre tout de suite que ce type là, c'était ce père que j 'attendais), mais ma hantise est bel et bien d 'abandonner mes enfants, pas l'inverse.
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père et fille

Je crois bien que c'est mon dessein animé préféré.

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Il a été réalisé par Michael Dudok de Wit.

Ce réalisateur a été résident à Folimage, studio d'animation et atelier de création que mon fils connaît bien.

À chaque fois que je regarde ce film, ça ne loupe pas, je pleure, sauf les rares fois où je l'ai passé à mes élèves (je prenais sur moi). Ou bien ça se tord dans mon ventre, c'est limite supportable, pourtant y'a rien de gore.

Je sais que c'est pas bien, qu'il faut respecter les droits d'auteurs mais tant pis, il est trop beau ce film (mettez vous en plein écran et dépliez vos mouchoirs).

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au bord du lac, encore et toujours
Je n'ai pas le courage d'écrire. Pourtant, j'en ai tellement qui me serre les bronches, les paupières, que ça tiendrait des pages. Il me faut un peu de temps, simplement.

Je viens de perdre ma tante, la seule de la famille à qui j'envoyais mes livres*, j'étais très très attachée à elle.

Juste l'audace de mettre cette photo prise il y a trois ans dans l'Aveyron**.

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Et vous dire avec cette image ma douleur presque incompréhensible (démesurée ?) et le silence sans doute long qui va suivre.

*Je redoute la réception, prévue sous peu, des exemplaires auteurs des Adolescents troglodytes, je ne sais pas ce que je vais faire de "son" exemplaire.

**Cette petite maison au bord du lac de Villefranche était à ma tante, j'allais la retrouver là-bas quelquefois en vacances.
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les pièges à artistes
Suite à une hospitalisation de courte durée, mon fils a été à "l'école à l'hôpital". Thème de travail : le blason.

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Il a fait ce que lui demandait la maîtresse : écrire et dessiner, il aime ça.

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Par contre, il voulait sortir rapidement, pour ne pas manquer le cours d'histoire des arts du lycée (sortie cinéma : Vertigo)

L'infirmière se moquait de moi parce que je croyais, moi, sa mère, qu'il voulait réellement aller en cours et, se tournant vers lui : je comprends que tu veuilles sortir rapidement, mais ne raconte pas que c'est pour aller en cours.

Oui, mon fils fait des conneries, mais ça ne l'empêche pas de vouloir aller voir un film d'Hitchcock, si ça ne lui paraît pas crédible, à cette infirmière bornée, c'est peut-être parce qu'à elle, ça ne lui dirait pas grand-chose, aller en cours pour se taper un "vieux" film...

Ce sont des gens comme elles, je crois les vrais pièges-à-artistes :

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Dzio, la rivière


Mon père gonflait ses poumons pour l’imiter, il devenait Dzio, la rivière. Je riais avec mes dents en moins, ma bouche de petite fille. Elle fait beaucoup de bruit, la rivière de mon père.
Je ne la vois pas encore. La forêt est pleine d’ombres. Je sens la chaleur maintenant. Les ombres nous protègent à peine. Elles troublent la lumière du soleil sans atténuer sa force. Tout ce vert sourd m’étourdit un peu. Mon père a mis un short en jean. Moi j’ai une petite jupe et un tee-shirt bleus, le coton se colle à ma peau. J’ai relevé mes cheveux. Je suis mon père, sa démarche est déterminée. Il se retourne quelquefois pour s’assurer de ma présence. Au lieu de couper à travers les allées de cacaoyers, on a fait ce détour troublant, par la forêt. Je ne sais pas s’il se souvient du chemin, mais il a l’air de savoir où il va. Je crois qu’il trimballe quelque chose dans la tête. Moi je le suis, comme je l’ai suivi jusqu’ici, jusqu’en Afrique, juste en fermant les yeux, et sans me poser de questions.

Arrivés au bord de la rivière, on s’assoit sans parler. Il y a trop de bruit. Je laisse tomber mes jambes dans un trou d’eau, pour me rafraîchir, en agaçant les têtards.
L’eau est rouge et sombre et pourtant lumineuse, comme un intérieur de grotte.

Mon père sort un paquet de cigarettes de sa poche arrière. Il l’ouvre et en attrape une entre ses lèvres, comme un manchot. Ça me faisait rire quand j’étais toute petite. Il fumait en cachette, il mettait un doigt sur ses lèvres pour me faire comprendre que je ne devais pas le répéter. Il souriait. Il mettait ses mains dans son dos, attrapait la cigarette avec la bouche et la fumait tout entière comme ça, sans les mains. Moi je jouais avec lui, j’étais complice. Je passais dans son dos pour lui tenir les mains, je mettais ma tête sur son épaule gauche et je l'embrassais dans le cou. La fumée me venait dans le visage, je trouvais l’odeur agréable. Je me sentais pourtant coupable, je comprenais que ce n’était pas bien, de fumer, de mentir, ma mère le disait, et c’était tellement bon en même temps, humer le relent parfumé du souffle de mon père, tout contre lui, à la fois inquiète et rassurée. C’était bon de mentir à ma mère.
Je regarde mon père finir sa cigarette, on est en train de faire encore la même chose, lui mentir, la trahir. Je ne sais plus si c’est vraiment bon. Il est si beau mon père. J’aime ses moments où tout s’inverse. Mon père enfin déraisonnable. Ma mère absente. Ma mère, ma peur.

Mon père se tourne vers moi, ses yeux ont leur belle couleur violette, profonde. Ses paupières tombent un peu. Je vois son âge avancé dans l’ombre qu’elles portent jusqu’à moi. Une plainte toute douce au milieu du vacarme de l’eau ramène mon regard de l’autre côté. Je vois le soui-manga frétiller, ébrouer ses couleurs, juste au-dessus de nous. Il se calme soudain, s’immobilise, on dirait qu’il vérifie la frêle ossature de ses ailes, sa tête minuscule vers l’arrière, il bouge un tout petit peu, secoue son corps, soulève ses petites pattes. Quand il s’envole, j’ai l’impression que son mouvement s’imprime sur celui qui m’oblige à respirer. Je sens mes côtes se soulever en même temps qu’il bat des ailes, très vite. Il me semble étouffer dans son envol, et mon souffle s’emballer dans un étranglement de lumières. L’oiseau n’est déjà plus qu’un point brillant à l’autre bord de la rivière. Je ne savais pas que les colibris prenaient appui sur nos inspirations, pour s’en aller plus loin.

Je voudrais nager un peu, plonger, me laisser submerger, mais l’eau n’est pas assez profonde. Le courant doit être assez fort pour m’emporter. Mais jusqu’où ? Je voudrais me noyer. La rivière est tellement bruyante qu’on ne devrait même pas entendre le « plouf ». Tellement bruyante. Je mets ma tête dans mes bras.
Je n’entends même plus respirer la rivière. Je ne sens plus l’eau pressée, serrée autour de mes chevilles, l’engourdissement de mes pieds dans la vase au fond. Je ne sens plus la chaleur étouffante, ma poitrine écrabouillée. Les abords de la forêt toute proche ne ramènent que des souffles inodores. Je ne vois plus aucune couleur autour de moi. Je me lève brusquement, mais rien ne bouge. J’ai mal à cette terre qui n’est pourtant pas la mienne. Je voudrais partir. Le pays de mon père est sans couleur, sans odeur, sans bruit. Mon père, mon silence.

Mon père ressemble à sa fille, une fille à ses côtés. Il m’a fait rasseoir, il essaie de me retenir en maintenant mes bras de ses mains. Ses doigts étranglent ma peau. Je ne sais pas s’il essaie de m’asservir, ou de me protéger. Ses yeux sont à la poursuite des miens. Ils sont grossis par la violence, mais son regard est calme, et tout ce calme m’intimide.

Ta mère, on ne peut plus rien pour elle. Il faut oublier, pas oublier complètement, mais si, un peu.

Mon père est debout et me tend la main pour que je me lève aussi. Je ne la prends pas.

La forêt du Kaba est soudain à nouveau pleine de bruits dont je ne connais pas l’origine. Je n’arrive plus à réfléchir. Mon père a laissé tomber sa main. Il me tourne le dos. Je sens une peur monter en moi, une peur dont je n’ai pas l’habitude. Rien à voir avec la peur de ma mère. Mes pensées me portent. Je me laisse faire. Je ne peux plus les contrôler, les organiser, leur donner du sens. Elles m’offrent le vertige.

L’eau paraît ne pas bouger. Sur elle, rien ne se reflète. Elle est griffée par endroits, je vois sur sa peau apparaître et disparaître les traces des araignées. Les libellules se froissent dans les herbes hautes. J’aime leur bleu variable. La rivière reprend son mouvement d’eau vive, et toutes ses couleurs. Tout me semble troublé, troublant, au bord de cette rivière. Dzio. Mon père.

Pas devant les gens, Ed. de La Martinière, fév.2004

red de 15 AVRIL 2006 PIERROTBATHROOM (273)

Photo

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mitoyenne
C'est la première - sauf ma propre mère bien sûr - des ex femmes de gendarmes de cette brigade, celle de mon enfance, à le lire, et à, indirectement - via ma propre mère bien sûr - m'en dire quelque chose.

Du Tiroir à cheveux.

Me dire les pleurs et les souvenirs. Et moi de me débattre avec le prétexte de la fiction et pourtant, être bousculée, d'entendre ce souvenir que je n'avais plus, et que je n'ai peut-être jamais eu.

Cette femme en lisant se souvenait des bruits de la cloison mitoyenne des appartements de fonction. Les bruits quand le petit se tapait la tête. On avait contraint son corps dans un corset de plâtre. Il tapait, tapait son front, son crâne, ça résonnait. La nuit surtout. Elle dit se souvenir de ça, s'en souvenir à la lecture du livre. Et pourtant, pourtant moi non, je ne me souvenais pas de ces échos de la cloison malmenée par la douleur du petit. Ou alors, pire, je ne l'entendais pas.

Elle dit aussi qu'elle a pleuré mais aimé se souvenir en lisant, comme si ça ravivait les souvenirs douloureux, oui, mais aussi, comme si ça leur donnait une existence, une raison, comme si ça l'aidait, comme si c'était "si vrai". Pleurer et aimer se souvenir d'avoir été à côté, si près. Moi qui pensais avoir pu mettre les choses un peu plus loin, par le mensonge de la fiction. Moi qui croyais m'être écartée. De ces coups contre nos murs communs. Les coups de la douleur de ce gosse, une douleur qui résonnait dans les murs fermés de la brigade.

Combien étions-nous à ne pas les entendre, à les taire, alors que c'étaient ces seuls mots?
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de mère en fille


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Elle se met souvent tout contre moi, la tête dans mon ventre, et puis elle s’écarte un peu pour me regarder. On a toutes les deux ce bleu aux yeux, celui des amoureux et des ecchymoses, on a cette même couleur des blessures revenues : des tâches violettes qui remontent à la surface de la peau. Toujours après les coups. Nous deux on est cet ensemble de champs douloureux aux cuisses, au ventre, on est la terre qui a mal de partout, on est cette terre foulée de tous, parcourue de veines poreuses.
Son père s’est traîné sur moi. Il m’a prise en me prenant pour un rivage, son souvenir se traîne encore et ses courants pulsent leurs sordides humeurs entre mes jambes. J’espère que ma fille ne saura jamais par où la douleur file de vague en vague. J’espère que ses lèvres ne seront pas malouvertes.
Dans mes rêves, mes cauchemars, des hommes marchent sur le sable, ils fouillent dedans. Je ris de le voir couler entre leurs doigts. Ils ont foulé chaque jour le sable humide, ils n’ont jamais vu les cicatrices en forme de coquillages écrasés, ces trésors fragiles, nos étoiles violacées. Ils n’ont jamais vu les frontières, ils n’ont jamais su s’arrêter. Ils ont craché des salives urticantes, et se sont retirés en nous traitant de putes. Et ma fille sera une pute aussi, puisque c’est une fille de pute, c’est ce que son père me disait. D’une certaine façon, ce n’est pas faux, parce qu’on a toutes les deux cette indépendance stupéfiante et dédaigneuse des putains. Il fallait bien que ressorte ce maigre venin que l’esprit de ces hommes avait éjaculé en prétextant la beauté des marées.
Elle est belle la mer espérée. Nous le sable, nous le bord de mer, on garde sa bave au chaud. Nous le creux des vagues on retient tous les poisons de ces hommes quand leurs mouvements s’arrêtent et que nos lèvres sont closes. On observe la marée descendre, et remonter en nous. Ce qui se couche alors sous nos hanches est le plus beau des poissons, nacré de salive amniotique, scintillant et sucré.
Moi j’ai des poissons rouges et bleus, aux yeux fermés par des souffrances qui se câlinent. On se serre avec nos douleurs comme ça, mes enfants et moi. Les douleurs les unes contre les autres, pour avoir un peu moins mal.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002

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