Une sorcière fait son ménage (comment s'abymer dans la mise d'un personnage secondaire)


Dans Pour être chez moi, on peut dire que la narratrice vivait un peu ma vie.

Si je pouvais à nouveau marcher sous les arbres, je questionnerais encore les odeurs de l’ombre, comme sous les châtaigniers, lorsque les nuits nous gardaient, Joë, mon fils et moi, tous les trois blottis dans leur plainte. Je me demanderais à nouveau si les autres connaissent les sentiments des sous-bois, comme moi, si je fais bien partie du monde. Sinon pourquoi ma chair seule est amarrée aux mousses humides, aux feuilles craquantes, tellement fragiles, dans le même temps lavées et salies par les orages. Pourquoi moi seule je sens tout ça, ou plutôt pourquoi je me sens si seule dans les choses de l’automne. Souillée comme le dessous des arbres, si seule, à rester là, vierge et sale à la fois.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002

Dans Pas devant les gens, lorsque des lecteurs pensaient me reconnaître dans la jeune narratrice, je leur disais de plutôt me chercher dans sa mère... Déjà, je n'étais plus celle qui dit "je", mais j'étais pas bien loin, quand même.

Le visage de ma mère est comme une pierre, les questions ne se lèvent jamais de cette roche pour attraper leurs réponses. Elles restent gravées et lourdes au bord de sa bouche. On dirait qu’elles y sont depuis toujours. Mais où veux-tu qu’on aille, elle devait déjà dire ça toute petite, quand sa propre mère lui demandait les dimanches de soleil : et si on sortait ?

Pas devant les gens, édition de La Martinière, février 2004

Dans le Tiroir à cheveux je suis rentrée dans le personnage de la voisine, ce qui m'a permis de dire "je" à la place de mon ex-voisine en vrai (je l'observais par côté et de mémoire).

Je me souviens du chagrin de ma voisine, le jour où je l’ai trouvée assise sans livre dans les escaliers de la gendarmerie (songeuse, un peu triste, entre son palier et le mien). Je me suis assise près d’elle, j’ai sorti une cigarette, elle m’a dit non merci. Elle avait les mains sur les oreilles, elle m’a dit tu sais je lis des histoires, ça me parle, mais je n’entends pas la voix de ceux qui écrivent. Il y en a qui sont morts il y a longtemps, on ne pourra jamais savoir quelle voix ils avaient.

Le Tiroir à cheveux, août 2005, POL

Dans Les Adolescents troglodytes je suis une sorcière, personnage secondaire taciturne et peu avenant (ce qui me va bien), ainsi que l'a vite compris ma Lorie :

"à très bientôt amie sorcière, la rue meurt ici
il n'y a presque plus rien à dire me concernant.
je pourrais leur faire croire que j'étais un homme" (mail de Mallaury, 9 juillet 2006)

Il habite avec sa mère un peu sorcière et les deux petits derrière le mont. Cette mère je ne l’ai vue qu’une fois, c’est peut-être une sorcière, mais c’est surtout une sauvage, qui dit bonjour comme si ça blessait ses lèvres sèches. C’est pas une bavarde. Moi j’aime pas trop parler non plus, mais je suis pas une malpolie. Son visage me dit quelque chose, mais je ne sais pas quoi, puisqu’elle parle jamais.

Les Adolescents troglodytes, à paraître (POL, janvier 2007)

Mais Pour être chez moi je me savais déjà sorcière.

Joë avait raison une fois encore. Je suis trop près de mon fils. Je l’ai aimé comme il ne fallait pas, je sais je suis sa sorcière. Il me ressemble, mais d’assez loin déjà. A ses reins il y a des fossettes parallèles aux miennes.

Pour être chez moi, récit, édition du Rouergue, mars 2002

Enfin, dans Les Mains gamines, je fais du ménage (je suis la femme de ménage de la narratrice), et ce n'est pas du tout un rôle de composition. Il me semble au contraire que le temps comme l'espace, il faut s'en occuper personnellement. S'occuper de son intérieur, de son extérieur, c'est un temps de pré-écriture. J'écris quand je conduis, quand je marche, quand je fais le ménage. Pour moi c'est ça écrire, une conscience de l'espace et du corps. Se confronter au quotidien, au sale, au temps, paysage, à l'espace, au corps. Faire son jardin, couper du bois, changer des couches, marcher, avoir le vent contre soi...

Je la regarde faire le tour des robinets avec une brosse à dents. Elle frotte en souriant pour elle toute seule.
De temps en temps, elle me regarde la regarder et sourit encore, mais plus fort, pour moi, quoi.
Je me sens embarrassante et je fais un mouvement pour partir mais elle me dit, non, restez, y’a pas de mal, si vous voulez voir. Je ne veux pas, non ce n’est pas ça, je ne veux pas vous contrôler. Elle sourit encore, mais sinon, ça fait rien, elle comprend.


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