Mardi, jour d’ écriture

Être mère de 3 enfants (sans “femme de ménage” ou autre “personnel”, car j’ai des principes, je ne suis pas manchote, et j’ai un webmaster qui travaille plus de 35 heures par semaine, mais n’est pas feignant et sait cuisiner), plus prof à temps complet (soit plus de 40 heures par semaine, voir ici), et écrivain (à temps complet ?) acceptant pas mal de rencontres nécessite une organisation en béton.

Cette année, cette organisation m’est facilitée “par une présence devant les élèves“ rassemblée sur deux jours et demi (grand merci à ma nouvelle principale), ce qui me change de mon emploi du temps ”émental“ de l’an dernier.

Et, luxe suprême, si je tiens la barre, je pense pouvoir me dégager une journée d’écriture (presque) complète le mardi de 9H15 à 16H15 !
C’est je crois la première fois que je dispose d’une plage aussi importante (7 heures) et régulière (une fois par semaine) pour écrire.

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à votre santé

Petite, j’habitais dans l’Hérault, dans une gendarmerie, à l’entrée d’un village.
Tout autour, des vignes, des vignes et des vignes.

Il n’y avait pas encore de centre opérationnel, et j’entendais le téléphone interne sonner pour les urgences nocturnes, puis mon père se lever, s’habiller et sortir ramasser avec les pompiers les corps à petite cuillère sur la nationale toute proche, ou bien calmer un mari ivre et jaloux.
Combien de cadavres sur les routes renversés par un conducteur éméché, combien de coups reçus par les épouses de buveurs de rouge, je ne sais pas, mais le compte y était, et je suppose qu’il y est toujours.
Et ces délinquants-là, qui n’avaient rien des “racailles”consommatrices de chichon lavées au nettoyeur haute pression, mais plutôt de “bons pères de famille”, c’est au vin bien de chez nous qu’ils carburaient, et carburent encore.

Alors, ça m’a fait tout drôle, lorsque, faisant des recherches sur les domaines viticoles pour le roman que je suis en train d’écrire, je suis tombée sur ça
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(En photo : mon père aidant son père à vendanger, cette vigne au fond du lac).

les lecteurs écrivent les livres

Lors de rencontres avec mes lecteurs, il arrive souvent que l’on me demande de trancher :

- est-ce que l’enfant sera finalement placé ?

- est-ce qu’Adèle rêve son futur, dans la grotte, ou ça va vraiment s’arranger ?

Je réponds toujours que je n’en sais rien, que c’est à eux de finir le livre, qu’ils l’interprètent comme ils veulent, comme ça les arrange, les dérange, avec leur histoire, leur passé, leurs convictions, leurs doutes… que c’est à eux, à ce moment là, d’écrire…

Parfois, ils se disputent entre eux dans cette liberté que je leur laisse toujours. J’adore ça, quand ils s’invectivent sur le futur de mes personnages, leurs prétendus caractères, les probabilités réalistes ou narratives de mes romans. J’ai, à les écouter, l’impression qu’alors ces personnages existent.

Ce sont donc mes lecteurs qui rendent mes livres possibles, les font exister, leur donnent une réalité que je ne pourrais jamais, toute seule, leur apporter.

Dans Les Mains gamines, on ne sait pas ce qui est réellement arrivé à la dernière narratrice du roman, et je laisse encore une fois mes lecteurs (pour le moment virtuels eux aussi) s’en arranger à leur manière.

Il y a peu j’ai vu un film à la télé où il était question d’une mauvaise blague que je trouve fascinante et qui est un paradigme de l’histoire de ce film, et même à mon avis de toute fiction, livre ou film :

Quelqu’un est supposé avoir fait un rêve, qu’il propose de faire deviner à une autre personne. L’autre pose des questions, et le rêveur ne peut répondre que par oui ou par non. Or, ce que l’autre ne sait pas, c’est qu’il n’y a pas de rêve. Les réponses sont faites en fonction des questions : oui si la question finit par une voyelle, non si elle finit par une consonne.
C’est donc celui qui pose les questions, qui, sans le savoir, construit tout le rêve, en fonction de ses goûts, fantasmes, inquiétudes, histoire personnelle, etc.

J’adore cette idée, je trouve cette “mauvaise blague” extraordinaire, bien qu’un peu dangereuse…

Je languis de la tester.
En écrivant, c’est un peu ce que je fais, ce que font tous les auteurs de fiction : finalement, on ne dit pas autre chose que “oui” ou “non” aux questions que se posent les lecteurs, et ce sont eux, à partir de quelques virgules, quelques adjectifs, se font “leur film” c’est-à-dire leur livre…

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En photo, un dessin de François (ami de Christian) : “toi, j’ai pas pu finir, tu bouges trop…”

La première est la dernière phrase

Je le disais à Janu en commentaire : je connais toujours la première phrase de mes livres, (parfois la première moitié de phrase seulement), et souvent bien avant de les écrire.

Il m’est arrivé de reprendre un roman écrit à 17 ans et de tout, tout retravailler (Pas devant les gens) mais alors bien sûr, je n’ai pas touché au début.

Ce n’est pas le cas, par contre, pour les textes courts, lesquels peuvent être modifiés depuis le commencement.

Mais pour les romans, je ne peux pas m’y mettre sans être sûre des premiers mots. Pour le moment. Je crois que c’est ma seule véritable contrainte, je veux dire la seule que je me sens obligée de suivre par je ne sais quelle maniaquerie. J’espère qu’un jour ça me passera.

La dernière phrase* par contre je ne l’écris qu’une fois le texte connu, et je découvre ce texte au fur et à mesure qu’il s’écrit.

Cette fois, je connais déjà ma dernière phrase, alors que le livre n’est pas fini (mais bien avancé quand même). Il y a une raison à ça : la dernière phrase est aussi la première.

Les Mains gamines commence et finit par cette phrase bien connue des parents qui ont pris des raccourcis pour essayer de bâcler l’histoire du soir :

- Non, c’est pas ça, recommence.

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*Petite parenthèse : en tant que lectrice, je commence toujours un livre par la première puis la dernière phrase (voire le dernier paragraphe, la dernière page)…

Ados allemands

Deux des frères de mon fils aîné, Nils et Lino (il en 3 en tout, plus une soeur) sont Allemands, de même que sa belle-mère, Sigrun.

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Je me réjouis de cette possibilité qu’ils auront de pouvoir lire un de mes livres : Les Adolescents troglodytes qui sera publié chez Wagenbach (bon pour Nils et Lino, il faudra attendre quelques années).

Je ne comprends pas un mot d’allemand, mais j’ai été voir la liste de leurs “autoren” : il y en a, du beau monde.

Après Le Tiroir à cheveux en espagnol, voilà donc mon travail bientôt traduit dans une autre langue encore, et je remercie vivement Vibeke Madsen, de s’occuper si bien de la cession des droits chez POL.

(en photo Sylvère et sa famille allemande, il y a deux ans)

Mise à jour du 17/08 : J’ai une amie qui a traduit tout le “Tiroir à cheveux” en occitan et je crois qu’elle a même trouvé un éditeur mais elle n’a pas encore tapé son texte, tout est manuscrit !!!

Mise à jour du 20/08 : la sortie du livre est prévue pour février 2008, la traductrice Nathalie Mälzer-Semlinger est déjà au travail !

demain ménage (sur les lieux d’enfance des écrivains Suisses)

N’en déplaise à Valérie Rocheron-Oury, je suis une intello politiquement engagée : je m’occupe moi-même de mon ménage (oui Gilda, je sais…).

Alors demain je fais une pause dans l’écriture des Mains Gamines, pour faire le ménage, donc écouter la radio. Ce qui tombe plutôt bien, puisque le personnage central de mon roman est femme de ménage.

Or il se trouve que Sylvie Tanette de la RSR a eu une idée formidable : s’entretenir avec des écrivains Suisses sur le lieu même de leur enfance. C’est passionnant à écouter. Et pour demain, je me réserve bien sûr l’entretien avec Noëlle Revaz… mais j’ai déjà un peu écouté en diagonale, je n’ai pas pu attendre : un moment j’ai cru qu’elle allait publier un nouveau roman, mais non, pas encore, ah la la ce qu’elle nous fait attendre celle-là !

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(en photo une brouette-poubelle suisse, que je trouve très inventive, et très pratique).

Mise à jour du 11 août : Depuis quelques temps, les podcasts strictement littéraires ne me suffisent plus, j’explore d’autres champs, sciences, droit, philo.Voilà comment j’en suis venue à écouter cette émission sur le droit et la littérature, et c’était passionnant.

Majeure sur grand écran

J’en ai déjà parlé, Christian Jacomino m’a commandé un texte pour ses ateliers de lecture “à voix haute” sur grand écran.

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Un texte qui ne serait pas figé, qui pourrait être malmené, et lu à plusieurs voix. Vivant, en quelque sorte. En tout cas, je devais accepter l’idée qu’il puisse être “trituré”. Et moi ça me va bien : ce à quoi j’aspire quand j’écris c’est à être lue, et peu importe comment, où, pourquoi. Mais si je suis lue pour donner envie de lire, dans l’idée d’un partage, comme cela semble être l’ambition de cette expérience interactive alors là, encore mieux.

Pour l’écrire, je me suis très librement inspirée de l’histoire d’une copine de mon mari, Charlotte, devenue majeure à 19 ans et, dans une moindre mesure, de ce mot trouvé en salle des profs.

Vous pouvez lire ce texte, avec les indications de voix portées par Christian, ici.

Madame, vos papiers

Je viens de recevoir un courrier où mon nom de femme mariée, qui se trouve être aussi mon nom d’écriture, est précédé de “mademoiselle” (!), mais l’auteur du courrier ignore sans doute que, depuis belle lurette, il est considéré comme discriminant de distinguer les “demoiselles” des “dames”…

Mon nom d’écriture, je le répète, est un pseudonyme, tout comme celui que j’avais utilisé auparavant, et d’ailleurs les noms d’épouse ne sont que des noms d’usage, donc des pseudos…

Je ne suis pas la seule à utiliser des pseudos pour écrire, ni même la seule à prendre pour pseudo d’écrivain de le nom de son conjoint ou encore de sa conjointe. Mais lorsque ce pseudo est le nom du mari, on ne le considère plus comme un pseudo…

Après m’être mariée, j’ai gardé mon nom de naissance (puisque c’est mon “vrai” nom) pour tout ce qui concerne ma vie de tous les jours, mon travail de prof, la sécu, etc.

Il a fallu que j’insiste pour garder ma carte vitale telle quelle après mon mariage, et que je me batte auprès d’une secrétaire zélée pour avoir la carte grise de ma voiture (et non celle de mon mari) à mon nom (et non celui de mon mari) lorsque je me suis permise d’en acheter une, et, sacrilège, de l’assurer moi-même (carte verte à mon nom aussi) !

Maintenant je sors direct les circulaires FP 900 du 22/09/67 et 74-129 du 28/03/74 et la réponse ministérielle du 14 avril 1983, puis je menace de porter plainte pour discrimination lorsqu’on me fait remarquer, sur un ton moralisateur, qu’une fois mariée je dois changer de nom, que si je ne suis pas contente, je n’avais qu’à pas me marier (!).

D’autant que pour changer de nom, il n’existe qu’une solution (en dehors d’une adoption tardive), et ce n’est pas le mariage : il faut formuler une demande au ministère de la justice.

        En ce qui concerne les impôts sur le revenu, puisque c’est moi qui m’occupe de cette “corvée”, la première fois que j’ai rempli une déclaration commune, j’ai logiquement commencé par mes revenus, puis complété dans la colonne “conjoint” les revenus de mon mari, mais l’année suivante, c’était pré-rempli dans l’autre sens, mon mari n’était plus mon conjoint, mais c’était moi qui étais “le conjoint“ de mon mari… Oui je sais, c’est pas grave, mais s’enquiquiner à inverser au nom de je ne sais quelle morale je trouve ça ridicule et je me demande comment ils font pour les déclas communes des homos pacsés : par ordre alphabétique, par années de naissance ?

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(lorsque je signe de mon nom d’usage/marital, c’est sur des livres…)

Téléchargements

Juste un petit message pour information : plusieurs de mes textes sont disponibles au téléchargement dans cette page, notamment mon premier texte publié, dans une revue universitaire, lorsque j’étais étudiante en cinéma (publié quatre ans après, j’avais écrit ce texte en licence, juste avant ce moment-là, bon, ça me rajeunit pas, cette histoire).

Cévennes, écritures

Il y a quelques jours j’ai fait un petit voyage dans les Cévennes de mon enfance pour recueillir de la “matière à écrire“.

J’avais rendez-vous avec Jean-François Lalfert, castanéïculteur à Thines, qui a accepté de me parler de son métier et de me faire visiter sa châtaigneraie aux filets retroussés sous les arbres, puis son atelier, prenant le temps de m’expliquer les transformations de ces dernières années, de me montrer ses ébogueuses, son séchoir moderne et ”maison“ remplaçant les clèdes, et tout un tas de machines pour transformer le fruit : pré-sécher, sécher, apertiser.

Tous ces détails (les peaux, les filets, les bogues) sont des mots, des couleurs, des odeurs et du toucher dont j’ai besoin pour Les Mains gamines. J’ai prévenu Jean-François : ce n’est pas un livre sur la châtaigne, ce n’est pas un roman de terroir non plus. Il y a une castanéïcultrice dans mon livre et son activité me sert d’appui, mais le vrai sujet du livre n’est pas là, et les châtaignes, mais aussi les vers à soie, sont à la fois métaphoriques et détournés. Pour faire simple, et direct, je le préviens que le noeud du roman est le souvenir de ce qu’on peut appeler un ”viol en réunion“. Il me répond : ”vous faites tout ce que vous voulez avec mon témoignage, sauf du commercial“. Alors ça devrait aller…

Je reprends le texte sur les sexes protégés. Elle a mis des vers à soie dans les poils de son pubis pré adolescent. Des poils comme du duvet. Elle décrit ça d’une façon qu’on a envie de caresser, et la soie et les poils, mais tout doucement, sans déchirer cet hymen improbable, cette virginité de magnanerie. Les petites lèvres sont enrobées dans un cocon et la chenille bouge à l’intérieur, inaccessible et si près pourtant. Il lui faut quatre jours pour tisser. Elle raconte comment uriner imperceptiblement, goutte à goutte. Éviter d’aller à la selle. Ne pas bouger. Ne pas trop ouvrir les cuisses.
        Ma femme de ménage est complètement barge. Désespérée. Seule. Ignoble.
        Les autres images, ce sont les sexes-bogues, aux piquants rétractiles qui s’hérissent lorsqu’on écarte les cuisses, avec une châtaigne de lait comme une amande défendue, qu’aucune main n’éboguera.
        Puis vient le regret obsédant, celui de n’avoir pas été cousue avant la puberté. Tout une partie des carnets est obnubilée par des désirs poétisés d’infibulation et je ne suis pas bien sûre qu’ils soient légitimés. Elle me fait peur.

Les Mains gamines, texte en cours d’écriture.

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Une fois descendue dans les châtaigneraies du bas de l’Ardèche, je n’avais plus que quelques kilomètres à faire pour rendre la visite à Philippe dans sa maison des Cévennes, où nous avons passé quelques jours. Philippe nous a conduit à La Soleilhade, et moi j’avais vraiment du mal à supporter la chaleur, mais au bord de la Cèze c’était frais et c’était vraiment jouissif de voir les enfants jouer entre eux, Paul et Adèle réunis. Je me retrouvais dans le bloc-notes d’il y a un an, et je me disais que ce moment passé ensemble serait sans doute à son tour dedans, à la sauce de Philippe (à ce propos Anne nous a parlé de son intention de faire un contre-bloc notes, ah oui !).

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Sauf que ce n’est pas pareil. On s’est rencontrés sur le net, Philippe et moi, mais notre rencontre hors ordi n’a pas été la même : la première différence est que j’ai rencontré Anne, Nathan, Madeleine, Adèle, Clémence, Julien, et même Anne-Pauline, dont je n’avais vu que des images et du son, avec qui je n’avais jamais ”échangé” comme je l’avais fait avec Philippe par mail. Et de même Sylvère, Lola, Paul et Stéphane sont entrés dans la rencontre. Et voir les lieux en entier, avoir des conversations multiples et riches, parler des vies bien plus compliquées que dans le désordre ou dans des livres…

Etranges croisements pourtant entre l’écriture de mon livre et les lieux de Philippe : la maison de retraite qui me sert de ”modèle“ pour Les mains gamines s’appelle à l’origine l’Ensoleilhade, comme beaucoup dans le sud de la France, et c’est un nom que j’ai à peine modifié. La chaleur y est morbide et délétère.

Aujourd’hui particulièrement il exagère, le soleil, parce qu’on ne peut même pas ouvrir les vitres, à cause des travaux de l’escalier, et ni mettre la clim, parce qu’elle est en panne.
Je transpire devant la porte fenêtre, les bas me collent.
Je me souviens d’elle à dix ans, j’y ai pensé, tout à l’heure, quand elle est venue me lever de la sieste. Elle avait encore sur la main l’odeur du basilic effrité la veille sur la salade de ses patrons, et tout ce que j’ai trouvé à penser, c’était à son corps de dix ans. Les seins déjà pleins, bien avant les rosiers, et les hanches encore étroites.

Maintenant devant la porte-fenêtre et les jambes moites, je me souviens des garçons.

(…)

Elle, c’est la seule qui ne lève pas la main, et c’est la seule qui caresse, au lever de la sieste. Sa main est un peu froide comme une promesse d’hiver en plein été. Elle la passe sur ma peau toute sèche. Elle prend un peu de crème, et soulage où ça craque.

L’ouvrier de tout à l’heure a des bavures sombres sous les yeux et dans le cou, violettes, rouges, bordeaux, il porte sa mort comme un rimmel, un collier, ses salissures sont semblables aux taches qui coulent du front sous les yeux, du visage jusqu’au cou après la mort, les lividités, ça s’appelle.

Les Mains gamines, texte en cours d’écriture.

En réalité tout ce que je fais en ce moment est dévié, associé à ce livre, tout comme je tentais de faire comprendre à Philippe qu’il vivait en pensant, consciemment ou pas, à la restitution de bouts de cette vie sur le net, et que c’était ça, aussi, écrire, et que c’était bien triste à y songer, bien maniaque, handicapant. Qu’une vie cadrée, c’est pas de la vie vraiment. Qu’on était à côté de notre vie, on était constamment au bord, jamais vraiment dedans.