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Ce livre est sélectionné pour le prix Télérama / France Culture

Un extrait est disponible chez POL, un autre dans le Culturactif Suisse.

Adèle est conductrice de navette scolaire sur un plateau très isolé, en altitude. Elle transporte une dizaine d’enfants et d’adolescents, essentiellement des fratries, dont les histoires se mêlent à la sienne. Pendant les trajets, dans les intempéries, ses souvenirs, ses pensées, glissent sur les routes écartées, pendant que grands et petits parlent, se disputent, se taisent. Elle se souvient de son corps mal ajusté, de sa propre adolescence douloureuse. Adèle est une fille née dans un corps de garçon. Ni « ses » grands, ni « ses » petits, n’ont connaissance de son passé. Elle est née au milieu du plateau, à la « ferme du fond », aujourd’hui disparue sous une retenue d’eau. Elle y a vécu avec ses parents et son petit frère, Axel, puis elle est partie, avant de revenir au pays dans son nouveau corps : personne ne l’a reconnue.

Elle conduit sa vie et la navette entre ce lac artificiel, recouvrant l’enfance, et un autre lac, naturel et volcanique, auprès duquel elle aime s’arrêter. Elle pense à son frère. Il n’a jamais accepté la féminité de son aîné. Axel est travailleur sur cordes, il conforte les falaises qui soutiennent le plateau. Il refuse de la voir, de lui parler. Une paroi rocheuse s’écroule, Axel s’en sort avec une phalange brisée, mais quelque chose en lui s‘est fissuré. Adèle descend le voir et le dialogue reprend.

Un après-midi d’hiver, la tourmente et les congères brouillent la route de la navette au retour du collège. Adèle et ses grands se perdent. Ils se réfugient pour la nuit dans une grotte au bord du lac volcanique…

Presse :

Télérama :


Il faut du talent pour être frère et sœur, réussir sa fratrie, comme on dit réussir sa vie. Il faut du talent pour s’aimer un peu, beaucoup, collés ou dessoudés, à rire comme des tarés ou à s’étriper méchamment, malgré soi, malgré les liens de sang. Pas facile tout ça, surtout quand l’un ou l’une, marqué(e) par on ne sait quelle griffe du destin, cherche son identité, sa place dans le monde… Avec Les Adolescents troglodytes, Emmanuelle Pagano s’insinue dans les méandres familiaux, les bourrasques sentimentales, et met à nu le sempiternel duel entre amour absolu et incompréhension. Déjà, dans son précédent roman, Le Tiroir à cheveux, elle affrontait les non-dits, ces sortes de mensonges, et les tourments oubliés d’une gamine de 15 ans. Ses mots se font aujourd’hui encore plus ouatés, comme s’il lui fallait protéger le lecteur, ou ses personnages, tous des sensibles, des blessés, rouge au front, morve au nez. Dès les premières pages, on se croit dans une road story à la française. A bord d’une navette scolaire, à travers les gorges de l’Ardèche, matin et soir, neiges et vents, crevasses et loups. On se laisse conduire, on regarde le paysage, on fait connaissance avec les mômes, leurs minois endormis, leurs peurs aussi. Et puis l’on bascule – les précipices sont nombreux, dangereux ou tentants, lacs artificiels ou vallées secrètes – et l’on se demande : qui conduit ? qui raconte ? quelle histoire ?

L’auteur embrouille nos yeux, manipule les accords féminins-masculins (« je me sentais esseulé et soumise ») pour mieux faire sentir l’effroi de n’être pas ce que l’on est censé être : homme ou femme. Dès lors, les phrases s’ouvrent vers le passé, touchent la vérité : « Quand j’étais petit garçon… », et racontent le désarroi du petit dernier de la fratrie : « Si tu fais ça, je n’aurai plus de grand frère. […] Tu ne seras jamais ma sœur, ça jamais, mais tu sais que je t’aime. »  Emmanuelle Pagano écrit du bout du cœur, avec délicatesse. Elle nous emmène dans une histoire d’amour aussi troublante que vivifiante. Qu’elle évoque les corps torturés, déchus, ou ses montagnes ardéchoises, son écriture n’est que sensualité : « Je me suis remplie du paysage, à nouveau. Je contiens mon pays, il me comble, il me suffit. »

Martine Laval

Ed. P.O.L, 214 p., 14,90 €.
Télérama n° 2973 - 3 Janvier 2007

(ce pays n'est pas l'Ardèche mais un mélange de tous les plateaux et causses que j'ai connus : Ardèche, Vercors, Larzarc, Sauveterre, Méjean et Causse Noir... + un petit peu d'arrière-pays héraultais - Salagou, Mourèze... Mais elle a peut-être raison, M.Laval, peut-être est-ce "mon" Ardèche, une Ardèche imaginaire, qui contient tous "mes" mondes).

Le Matricule des anges :

Matricule

(Février 2007)

Livres et Lire :

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(Janvier 2007)

Tageblatt (luxembourg) : bientôt

L'hebdo (Lausanne) :

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Midi Libre :

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À la télé :

Un échange autour des Adolescents troglodytes et de Mon coeur à l'étroit : un dialogue avec Marie NDiaye, dans "le bateau livre".

Diffusions : le jeudi 1er février à 21H45 (France 5, en numérique) et dimanche 4 février à 10H (France 5, numérique et hertzien)





À la radio :

Jeux d'épreuves sur France Culture, le samedi 3 février.

(cliquez ci-dessous pour écouter)

JEUX D'EPREUVES 03.02.2007

"entre les lignes" sur la Radio Suisse Romande, le jeudi 8 février (lectures croisées).

(cliquez ci-dessous pour écouter)

Entre les lignes 08.02.2007


Sur internet :


Chez Clarabel :

Adèle est conductrice de navette scolaire pour les enfants des plateaux isolés, loin là-haut, nichés au coeur des gorges et jamais à l'abri des congères et des vents scélérats. 

Adèle adore ces gosses, des adolescents muets, taciturnes, mais respectueux, ayant su établir une connivence discrète. Elle les appelle ses ligériens, "il faudrait dire altiligériens, mais c'est moins facile, et comme je ne les appelle qu'à part moi, ça me regarde". Voilà le tableau...

Comprenne qui voudra mais le sujet s'emmêle dans un embroglio de féminin / masculin quand Adèle parle d'elle entre "quand j'étais petit", dans son pays où elle a grandi avec son frère Axel, et ses parents, dans la ferme du fond, et le présent, qui la voit revenir avec ses traits de femme seule et mystérieuse... 

Axel est d'ailleurs revenu au pays, lui aussi. Cela faisait quelques années qu'ils étaient fâchés, mais ce retour sonne l'heure des réglements de compte, Adèle le sent dans son ventre. 

D'ailleurs, il s'en passe des choses dans son ventre, quand ça tire et ça fourmille, ça sonne et ça crie, surtout quand Tony le costaud posera son regard sur elle et lui filera quelques rougeurs sur les joues... 

Qui est-elle, Adèle ? Que cache-t-elle et que craint-elle ? Son chemin quotidien à travers les routes escarpées et glissantes n'est pas seulement le nid de ses soucis, en plus de sa tête renversée pour l'inconnu, le retour du frangin, les souvenirs d'enfance et les regards persistants de ses gamins qui la sondent et la transpercent... ça commence à faire beaucoup pour Adèle.

Emmanuelle Pagano a réussi un formidable tour de force en tendant la main au lecteur pour le prendre à bord de la fourgonnette scolaire, on s'y installe, on boucle sa ceinture, on s'y trimballe, les lèvres gercées, le souffle court, la boule au ventre. C'est scotchant.

Se glisser ainsi dans la tête de la narratrice, cerner sa troublante identité, son énigme et son ambiguité est un cadeau inouï, et une reconnaissance haute et digne de la perplexe relation entre l'identité et la sexualité... là je dévoile trop, et pourtant je veux m'en tenir au flou, tel qu'on le ressent quand on tourne les premières pages du livre.

Je le signale d'emblée, mais c'est imparable, lire Les Adolescents troglodytes fait fonctionner ses méninges, surtout au début. Mais le paradoxe est érigé à une hauteur tout à fait abordable et suffisamment stimulante pour s'y engager.

Et puis, il faut souligner le style de l'auteur qui mêle à la simplicité une sophistication tout à fait appréciable. C'est clair, j'ai été étonnée, séduite, bousculée mais enchantée. Emmanuelle Pagano parvient à décrire les éléments, un pays de gel, l'isolement, la rudesse, l'habitude et les émotions papillonnantes en un tour de main. 

Car ce n'est pas juste une mise en lumière d'un milieu rural ou des arcanes de l'adolescence, c'est tout au contraire un numéro de haute voltige sur le coeur d'une femme dans un corps empêché (là, c'est pour faire un clin d'oeil au site de l'écrivain, mais ça colle !). Alors juste pour vous convaincre une dernière fois : lisez donc ce roman, très troublant, très bien écrit, riche de mille manières. Un charme fou s'y loge !

Dans le désordre :

Les choses auxquelles on ne pense pas. Auxquelles on ne veut pas penser, auxquelles on ne préfère pas penser. Les choses auxquelles on ne veut pas penser parce qu'elles font mal. Je vous donne un exemple.

Comment vivaient les femmes nées dans un corps d'homme dans l'Antiquité, quel genre de terribles mutilations s'infligeaint-elles pour redevenir la femme qu'ils n'avaient jamais été jusqu'alors.

Si vous êtes comme moi, un homme surtout, vous êtes déjà en train de serrer les cuisses comme pour prévenir le coup de pied dans les couilles. Manière d'anticipation de la douleur. Il y a donc de ces choses auxquelles on ne préfère pas penser et que l'on relègue volontiers par delà soi-même. Derrière une porte du fond que l'on maintient la plus hermétiquement close possible. Mais de temps en temps, un manque de vigilance furtif, et la porte est entrebaillée et ces choses-là surviennent et vous tourmentent. Parfois vous parvenez à chasser ces pensées inconfortables et elles retournent derrière la porte du fond que vous refermez à double-tour, mais je ne sais pas comment ces choses-là font, elles ressurgissent.

Bien souvent elles appartiennent au passé. Elles sont enfouies mais elle refont surface. C'est notamment ce qui arrive à Adèle, l'héroïne des
Adolescents troglodytes d'Emmanuelle Pagano, qui ne s'est pas toujours appelée Adèle, mais aujourd'hui c'est Adèle et c'est elle qui conduit la petite navette scolaire qui ramasse les enfants dispersés aux quatre vents du plateau et les conduit à l'école pour, le soir, les reconduire dans leurs hameaux reculés. D'ailleurs Adèle, on finit par l'apprendre, avant de s'appeler Adèle, était le grand frère d'Axel, c'est d'ailleurs ce qu'Axel lui reproche le plus à Adèle, c'est de plus être ce grand frère dont il aurait bien besoin pour y voir plus clair dans sa vie, surtout en ce moment où, cordiste, il vient d'avoir un accident dans un goulet qui s'est délité. Ici, sur le plateau, on ne sait pas qui était Adèle avant qu'elle n'arrive ici. Or Adèle vivait, quand elle était petit garçon dans une ferme au fond d'une vallée qui depuis a été innondée par une retenue d'eau, mais il arrive, pour des besoins d'assainissement du barage, que la vallée refasse surface et avec elle des histoires. En dire davantage ce serait sûrement déflorer ce que justement Emmanuelle Pagano déplie avec lenteur et une retenue qui sans cesse fait oublier que c'est elle qui fait apparaître et disparaître, parfois même naître, ou au contraire mal naître, les personnages, les choses et même les payasages, que ce n'est pas le décor seul qui contient ces histoires qui se croisent ou pas. Ou alors ce serait penser que le pays a une âme ou encore qu'une femme parce qu'elle passe sa vie dans les livres est nécessairement une sorcière. Il n'y a qu'une sorcière dans ce roman, Emmanuelle Pagano, qui à force de déplacer les éléments du décor petit à petit laisse entrevoir cette très belle construction mentale : une fiction. Celle d'un paysage sans cesse changeant.

Allez je peux bien le dire, il n'est pas parfait le deuxième roman d'Emmanuelle Pagano chez
POL, il est moins écrit que le précédent, le Tiroir à cheveux qui faisait mystère des gestes vernaculaires jusqu'à la provocation, peut-être même qu'elle allume la lumière une fois de trop dans le récit, mais il y a tout de même une drôle de force dans le ressassement du quotidien, ici les navettes incessantes sur le plateau par mauvais temps surtout, mais qui à l'image de la musique de Steve Reich, à force de répétition finissent par dégager des variations inattendues. Et dans ces plis, ceux de la douleur sur les fronts, et dans ces autres plis aussi, les cicatrices, la mémoire de ce qui a fait mal et qui est éteint. Vraiment éteint ?

Sur Remue-net :

Au bord de l’humanité / Emmanuelle Pagano


plateaux

Certains mots ont perdu leur pouvoir à force d’étayer des propos faibles, de faire la vitrine à des textes creux et pourtant quand ils s’imposent, on ne peut les laisser de côté. Ainsi, un des mots qui s’est imposé à la lecture du livre d’Emmanuelle Pagano Le Tiroir à cheveux, c’est le mot humanité – avec ou sans h majuscule. Mot intimidant car ceux dont parlent le livre sont ceux-là mêmes que certains sociologues qualifient de petites gens ou gens de peu. Mais avoir peu ce n’est pas avoir rien.
Et c’est un regard à l’horizon ouvert qu’Emmanuelle Pagano porte sur ses personnages parce que la difficulté du quotidien n’est pas toujours misère crasse. Et dans le gris de certains jours s’épanouissent de bien belles couleurs et des personnage à hauteur humaine.
L’histoire du
Tiroir à cheveux pourrait verser dans la désespérance avec cette adolescente qui devient mère à l’âge où grandir est une nécessité, mais l’écriture transforme la plainte en un texte ouvert, d’une poésie qui ravit le lecteur. Une écriture qui nous emmène là, où la chute pourrait avoir lieu et que non. Les mots nous retiennent et c’est la vie que l’on sent palpiter à l’intérieur des phrases.
Je reste un moment comme ça, bête au crépuscule, le ventre écrasé sur la rambarde, et je me rends compte qu’il fait presque nuit. Les bruits des autres sont éteints. Les chats des ombres se poursuivent. Toutes seules et dérisoires, des mobylettes ouvrent un peu le silence, mais elles sont loin, à l’autre bout du village.
L’écriture encore pour raconter les sentiments de personnages qui pourtant ne se livrent guère. Des personnages qui se touchent plus qu’ils ne se parlent - oui, mais par nécessité. On se touche pour démêler les nœuds des cheveux, laver des corps empêchés, nourrir celui qui ne sait pas le faire seul. Chaque phrase est une porte entrouverte sur des jours ordinaires aux sentiments rares.
De temps en temps je le dévisage, comme ça, parce qu’on ne sait jamais, mais si je croise ses yeux, je baisse les miens, parce que son regard nu, ça me fait devenir seule.
Humanité donc, comme dans certains films des frères Dardenne auxquelles, le livre peut s’apparenter. D’ailleurs ne lit-on pas dans les
Carnets du frère nommé Luc, évoquant le tournage du film Le fils :
Olivier est encore plus souvent filmé de dos que nous ne l’avions imaginé au tournage (…) il se passe bien quelque chose avec son dos. Filmer le dos. L’énigme humaine qui se tient dans le noir du dos. La grande ellipse.
Chez Emmanuelle Pagano, il y a aussi ce besoin de transformer en abris chauds et réconfortants des lieux gris et banals : un appartement au cinquième sans ascenseur, le logement de fonction d’une gendarmerie, le salon de coiffure d’une petite ville. Lieux protecteurs que l’on retrouve également, sous d’autres formes, dans
Les adolescents troglodytes, même si l’intrigue est plus complexe. Les lieux clos, la navette scolaire, une chambre d’hôtel, une grotte aménagée, sont rassurants et permettent de se retrouver , de se réunir.
A l’abri du livre et de la navette, le lecteur traverse des contrées oniriques qui lui semblent pourtant familières. Très belle idée de l’auteur de créer un paysage à partir de différents lieux existants : les hauts plateaux d’Ardèche, le Causse, le Vercors.... à chacun de retrouver les siens.
Le paysage intervient alors comme une extériorisation de la vie intérieure des personnages : l’érosion des sentiments, la transformation des matières, la présence du passé avec sa cohorte de fantômes. Et la navette avance sur les routes en lacets frôlant parfois l’abîme tandis que le froid menace à l’extérieur. Froid qu’il faudra bien affronter quand la navette bloquée par une tempête de neige ne sera plus la chaude matrice pour ceux qu’elle transporte. Alors la bande d’enfants, ses tout petits et ses plus grands, trouvera un nouveau repaire pour s’abriter. Et c’est là que la conductrice, à l’abri elle aussi, pourra se dire. Partager le secret de celle qu’elle est et de celui qu’elle n’est plus. Grandir c’est accepter le vivant du monde.
Dans la forêt le brouillard est aussi ramassé qu’une chair, on le touche. En avançant on ne sait d’ailleurs pas ce qu’on va toucher, ou ce qui va nous accrocher, à part le froid du brouillard. Il est charnel et givrant. La nuit des arbres rajoute sa trame noire, et mes grands ont commencé un silence fait de respect et de peur soudés.

Le tiroir à cheveux – P.O.L. 2005
Les adolescents troglodytes – P.O.L. 2007
Au dos de nos images Luc Dardenne – Seuil 2005.

Fabienne Swiatly - 13 février 2007





Coup de coeur librairie :

histoire de l'oeil (librairie/café/expos, Marseille) :

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Les Adolescents troglodytes
Emmanuelle Pagano
POL

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Adèle est conductrice de navette scolaire sur un plateau très isolé, en altitude. Elle transporte une dizaine d'enfants et d'adolescents, essentiellement des fratries, dont les histoires se mêlent à la sienne. Pendant les trajets, dans les intempéries, ses souvenirs, ses pensées, glissent sur les routes écartées, pendant que grands et petits parlent, se disputent, se taisent. Elle se souvient de son corps mal ajusté, de sa propre adolescence douloureuse. Adèle est une fille née dans le corps d'un garçon. Ni "ses" grands, ni "ses" petits, ne connaissent son passé. Elle est née au milieu du plateau, puis elle est partie, avant de revenir au pays dans son nouveau corps : personne ne l'a reconnue.
C'est une très belle histoire, sensible, que nous livre Emmanuelle Pagano. On est plein de tendresse pour Adèle et ses ados, pour ce petit garçon, vraie fille manquée qui veut devenir une fille réussie. On est d'ailleurs un peu triste de les quitter en refermant le livre.



Trois personnages du livre : Christian Morin, Shendo et Dryade...



presse avant parution :

Entrevue, "Liberté Dimanche" du 18/12/05 (propos recueillis par par Maryse Bunuel)

"J'ai une grande admiration pour les adolescents"

Le casino de Forges-les-Eaux ouvre désormais ses portes aux écrivains (...). Emmanuelle Pagano qui a signé le très beau
Tiroir à Cheveux termine sa résidence aujourd'hui dimanche. Entre sa chambre d'hôtel et le bois de l'Epinay, l'enseignante a presque terminé son nouveau roman. Un moment qu'elle a fortement apprécié et qu'elle a raconté avec fraîcheur et enthousiasme.

Liberté Dimanche : Est-ce utile un résidence pour un écrivain ?
Emmanuelle Pagano : oui lorsque l'on arrive pas à avoir du temps pour soi et à être seule. Entourée de mes trois enfants et de mon mari, je trouve toujours un prétexte pour ne pas travailler. Une résidence permet de s'enfermer, de se retrouver et de se concentrer sur son travail. J'étais comme dans un monastère.

L.D. : Forges-les-Eaux était-il le coin idéal ?
E.P. : J'ai bénéficié du calme, de la campagne. Je suis allée faire de longues promenades dans la forêt pour mettre en ordre toutes mes idées. J'ai intégré mon texte dans mes notes
(c'est évidemment l'inverse). Et j'ai été très productive puisque j'ai écrit une centaine de pages. C'est la première fois.

L.D. : Le roman est-il bientôt terminé ?
E.P. : Il est quasiment terminé.I l raconte l'histoire d'une conductrice de navettes scolaires sur un plateau montagnard. Il se déroule en dix jours. et une journée correspond à un mois. Pendant les trajets, elle évoque la vie de ces gamins. À cette partie se tisse l'histoire du frère de cette femme, un travailleur sur cordes. Si l'une vit sur l'horizontalité, l'autre reste sur la verticalité.

L.D. : Comment est née cette idée ?
E.P. : C'est ma fille qui m'a donné cette idée. J'ai trouvé sur un de ses cahiers un poème : je marche sur les pas de mon frère jusqu'à l'arrêt de la navette
(note : ce n'est pas tout-à-fait ça). Elle prend le car pour aller à l'école. La nuit, quand elle ne voit pas très bien, elle marche sur les traces laissées par son frère (note : dans la neige). J'ai trouvé cela très joli. Ensuite, il y a eu plein de coïncidences.

L.D. : Dans ce livre, beaucoup de thèmes sont abordés et vous vous engagez.
E.P. : C'est en effet un livre politique. Il y a des revendications sur l'aménagement du territoire, sur l'écologie. Ma narratrice est une femme mais elle est née dans un corps de garçon. J'aborde le problème d'identité, d'identité sexuelle.

L.D. : Vous parlez aussi des adolescents. vous les connaissez bien puisque vous êtes enseignante.
E.P. : J'ai une grande admiration pour les adolescents, qui peuvent être à la fois exécrables et merveilleux. Ils ont un potentiel dont les adultes n'ont rien à envier
(note : c'est évidemment l'inverse que j'ai dit "tout à envier"). On a une drôle d'image des jeunes aujourd'hui (note : cette entrevue a lieu en déc 2005).

L.D. : Par rapport à votre précédent roman, votre écriture a-t-elle changé ?
E.P. : Dans le précédent, elle est plus brute. dans celui-ci, elle est plus fluide, plus errante. Le lieu a eu de fortes influences sur mon écriture. Je suis profondément convaincue par le fait que les lieux déterminent beaucoup de choses. Un lieu vous change une vie.



La Dépêche du pays de Bray

mercredi 21 décembre 05

Forges > Emmanuelle Pagano à la Folie des Fontaines.

"L'écart représentatif"

Emmanuelle Pagano est le troisième des dix écrivains invités par le Casino de Forges à venir se mettre au vert, à l'écart en somme, pour travailler à leur oeuvre. L'idée en est venue à Olivia Benahou et Jean-Marie Tiercelin, à la suite du festival des Feuilles d'automne qui a eu lieu cette année au palais du Luxembourg (...).
Ainsi, Emmanuelle Pagano a écrit une centaine de pages durant ces deux semaines, tout en faisant de grandes balades quotidiennes dans les bois de Forges.

Influence des lieux


L'auteur s'intéresse
"à toutes les formes d'écart, à ces gens différents, parce que nés loin de tout. Elle aime étudier comment le lieu influence les sensations et les réflexions des personnages, et par suite l'histoire et l'écriture elle-même". Ce roman en cours se déroule dans une région de plateaux, le frère de la narratrice est cordiste et pose des filets pour éviter l'éboulement des parois rocheuses. De là, naît tout un jeu sur les verticales et les horizontales.
La narratrice, née garçon et devenue femme dix ans avant le début du récit, est conductrice d'une navette scolaire et, au contact des enfants transportés, se remémore tout en conduisant sa propre enfance. Des intempéries, des déviations influent le cours du roman. Les thèmes abordés sont divers : en plus du problème d'identité lié au corps, sont évoqués la guerre école publique-école privée, ruraux-citadins, l'écologie, la politique et la géographie.

Souvenirs et réflexion

Au début de ce roman, elle placera un poème de sa fille Lola où celle-ci disait "marcher dans les traces de son frère dans la neige pour se repérer", car c'est de là qu'est née son inspiration. Mais elle se livre ensuite à tout un travail de tissage où s'entremêlent des souvenirs autobiographiques, des espaces où elle a vécu et vit actuellement, à savoir le Vercors et l'Ardèche, et une réflexion sur ses sujets de prédilection : l'écart, mes marques sur le corps...
Titulaire d'un DEA d'Histoire et Civilisations, option Histoire du Cinéma et d'une agrégation d 'Arts Plastiques, Emmanuelle Pagano excelle à démêler tous ces fils et en parle avec chaleur et simplicité. L'analyse de ce processus de création lui rappelle la notion d'
"écart représentatif" abordé en classe avec ses élèves, pour étudier le jeu entre la réalité et la fiction.

Un lectorat lycéen


Le paysage, plus étendu dans ce roman, appelle une phrase plus longue, plus lyrique que dans le roman précédent accueilli favorablement par la critique : Le Tiroir à cheveux, paru en 2005 aux éditions POL. Des lycéens de l'Académie de Poitiers sont en train de l'étudier pour le Prix Librecourt. Elle est contente d'être lue par des jeunes et on peut parier que le nouveau roman en cours les interpellera tout autant que les adultes.


Le Dauphiné Libéré

dimanche 18 juin 06 : à venir...